Deux bombes en l'espace de quelques jours à Alger. S'achemine-t-on vers un septembre noir pour la capitale? Et qui en profite réellement? Les terroristes, la mafia ou des clans, encore, occultes? Ou est-ce encore la convergence de toutes ces lignes de force? Des scènes qu'on croyait révolues depuis longtemps, le temps d'une relative accalmie dans l'Algérois, reviennent planter leur décor. Dans la périphérie Est d'Alger, à Rouiba plus précisément, les marchands ambulants et les vendeurs à la sauvette, qui tous les jeudis avaient coutume d'investir les places publiques, sont rigoureusement priés de plier bagage et de quitter ces espaces. Et des policiers se relayent afin de les dissuader de revenir. A Alger, dans les grandes artères ainsi qu'au niveau des marchés, particulièrement fréquentés le jeudi, des rondes de police patrouillaient le long des rues et des ruelles alors que des véhicules de la sûreté tenaient des positions fixes au niveau des points sensibles, comme par exemple au marché Ferhat-Boussad (ex- Meissonier). La région algéroise est donc sous haute surveillance, la bombe qui a explosé dans la Basse Casbah dans une rue marchande et la seconde qui a été désamorcée hier à El-Harrach ont vite fait réagir les autorités sécuritaires de la capitale. Alger, qu'on supposait citadelle imprenable, est de facto, et encore une fois, la cible d'attentats dont la nature est déjà signifiée par ce premier acte criminel : frapper douloureusement l'imaginaire des Algérois et créer une psychose semblable à celle qu'a connue Alger au cours des années 90. Et cette logique de frappes «étudiées» se confirme avec l'acte manqué de la matinée d'hier où une bombe a été «balancée» au marché Boumati à El-Harrach, dans la proche banlieue Est d'Alger, avant d'être désamorcée par la brigade de déminage de la police nationale. Encore un endroit fortement fréquenté les weenk-ends. Ces opérations terroristes, qui risquent fort de plonger Alger dans une paranoïa semblable à celle vécue dans les années 1993-1999, et à travers l'opacité des éléments fournis, laissent à penser qu'une véritable campagne d'attentats ciblant des civils dans les endroits publics, a été décidée. Mais qui en a décrété le déclenchement? Le terrorisme islamiste - et sa redoutable guérilla urbaine - est traditionnellement montré du doigt. En effet, depuis plus de deux mois, les actions terroristes avaient tendance à s'intensifier dans la zone sud d'Alger, plus exactement, en s'étendant sur l'axe Blida-Médéa-Ksar El-Boukhari. L'importance des axes routiers du sud d'Alger et la proximité, toute relative, de la capitale nourrissent la tentation de réactiver la cellule terroriste d'Alger. A la fin du mois de juillet, les services de sécurité ont abattu deux terroristes à Kouba et un à Meftah. A mesure que se succédaient les actions terroristes menées dans sa lointaine périphérie, l'étau n'a fait que se resserrer sur la capitale. Les observateurs avaient relevé avec appréhension cette volonté des terroristes de s'infiltrer dans Alger. Le but est simple, puisqu'un seul attentat à Alger génère une importante onde de choc aussi bien médiatique que psychologique. D'autres analyses vont dans la même sens en avançant que ces attentats répondent au besoin des groupes terroristes en vue d'une éventuelle «négociation» avec le pouvoir. Et vu que la signature même de l'attentat est différente de la série de bombes qui avaient secoué Alger pendant une longue et terrible période, puisque la bombe artisanale de la rue de Chartres, jeudi, ne comportait pas les fameux clous, boulons et autres éclats de métal utilisés dans la fabrication de ce genre de bombes afin de faire le maximum de victimes. L'effervescence du paysage politique national, façonné par la surenchère déclenchée pendant tout l'été autour du principe de la concorde et de la réconciliation civile et nationale, la montée au front, par des manoeuvres médiatiques, des dirigeants de l'ex-FIS, et la multiplication des sorties médiatiques de ceux qu'on s'accorde à appeler, dans le jargon politique et journalistique, «éradicateurs», ne peuvent être appréhendées sans glisser dans une logique de corrélation où, vu la situation actuelle, les déterminismes en termes de causalité ne peuvent être clairement dévoilés. Mais de cette esquisse de théorie des dominos, il y a une question qui se pose et s'impose: mis à part, bien évidemment, les groupes terroristes, a qui profite réellement cette recrudescence des attentats à Alger? Dans cette même logique de mise en contexte, le récent coup de filet opéré par la Gendarmerie nationale à Oum El-Bouaghi et qui s'est soldé par l'arrestation de vingt terroristes, a démontré les liens étroits qu'entretiennent le terrorisme et les milieux mafieux. Une illustration typique des connexions entre guérilla et banditisme qui vivent en parfaite osmose en partageant les aires d'actions et les dividendes pécuniaires. Ici aussi, l'on ne peut passer sous silence le «hasard» qui a fait coïncider l'heure, la date et l'endroit de l'attentat de jeudi dans l'ex-rue de Chartres, avec l'installation, par le ministre de l'Intérieur, M. Zerhouni, des nouveaux walis délégués de la capitale dans la salle du Conseil populaire de la ville d'Alger, à quelques centaines de mètres du lieu de l'attentat. Faut-il rappeler que le département de Zerhouni avait, depuis plus d'un mois, lancé une série d'enquêtes sur la gestion locale et qui s'est soldée par l'arrestation de pas moins de 150 élus locaux. Une telle opération «mains propres» ne pouvait rester sans réplique... Quoi qu'il en soit, et dans l'actuel état incertain de la situation, nul ne peut avancer une théorie ou une analyse claire et crédible qui embrasserait les tenants et les aboutissants de cette nouvelle campagne de bombes dans la capitale. Seule demeure palpable cette peur diffuse et insistante du fait que l'on s'achemine vers un septembre des plus noirs.