Si les polémiques ambiantes ont anticipé la venue du président français, la soif d'un rapprochement authentique entre la France et l'Algérie reste grande. Les conciliabules élyséens, les petites phrases ravageuses, les raccords hâtifs: la semaine qui a précédé l'arrivée du président français a tremblé d'une agitation diplomatique inattendue. D'emblée, les journaux français ont relayé attentivement les dires des uns et des autres. «Un message d'accueil antisémite pour Sarkozy» titrait Le Figaro à quelques jours de l'arrivée du chef de l'Etat français à Alger, à la suite de déclarations du ministre des Moudjahidine, Mohamed Chérif Abbas, qui avait attribué l'élection de Sarkozy au «lobby juif». «L'Algérie prépare sans enthousiasme la prochaine visite de Nicolas Sarkozy», soulignait Le Monde, quelques jours auparavant. Les arguties autour de la reconnaissance des crimes de l'ère coloniale ont donc rouvert un débat qui semblait, pour l'heure, peu central dans la perspective des échanges entre Nicolas Sarkozy et Abdelaziz Bouteflika. Lors d'une conférence de presse à Paris, vendredi, l'ancien ministre algérien de la Communication, Abdelaziz Rahabi, a ainsi rappelé que la reconnaissance était «indispensable, si nous voulons avancer et assainir nos relations, et les dépouiller de cette charge historique». Il a toutefois qualifié le propos de M.Abbas de «révisionniste, inamical et inacceptable». Mohamed Saïd Abadou, secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine, avait même renforcé la polémique grondante: «Sarkozy n'est pas le bienvenu en Algérie», avait-il affirmé. Le chanteur Enrico Macias a cristallisé de semblables réactions, et décidé de ne pas se joindre à la délégation comme il était prévu au départ. Certes, les dirigeants français et algérien ont rappelé leur entente cordiale, mais les esprits ont retenu les dissonances. L'opinion publique ne sera que plus attentive aux gestes et aux mots, même les moindres, des deux présidents. La reconnaissance, la repentance ont été largement commentées lors de la conférence de vendredi, les uns en appelant davantage aux historiens, les autres aux politiques. «Le voyage de Nicolas Sarkozy entre dans le processus de reconnaissance, et je pense qu'il saura trouver les mots; mais les générations actuelles n'ont pas à être comptables de ce qui s'est passé auparavant», a déclaré Bariza Khiari, sénatrice PS de Paris. Il est vrai que moi, je ne viens pas d'une démocratie, mais les démocraties n'ont pas le monopole de la douleur!, a estimé Abdelaziz Rahabi. «Je considère que la reconnaissance du crime colonial fait partie de la thérapie de mon peuple!». Cependant, tous espèrent que cette question n'entachera en rien la visite imminente du président français. Rachid Kaci, conseiller technique à l'Elysée, a pour sa part, martelé qu'une frange de l'UMP (le parti majoritaire, ndlr), «milite vraiment pour un rapprochement entre nos deux nations». Evoquant la visite de Bouteflika au mémorial de Verdun ou celle de l'ambassadeur de France à Sétif, Jean-Pierre Tuquoi, journaliste au quotidien Le Monde, s'est, quant à lui, montré convaincu que «c'est en multipliant ces gestes-là qu'on arrivera à se rapprocher pleinement». De part et d'autre de la Méditerranée, on attend donc un «geste», gonflé de symbolique. Et les débats dévoilent, en filigrane, la volonté d'évoquer les réalités présentes et les expériences à venir, tels la circulation des personnes, les défis industriels, et un rapprochement des deux pays à travers le projet d'Union méditerranéenne - mais encore des populations elles-mêmes. Abdelaziz Rahabi a ainsi prôné une «perspective globale de stabilisation du Sud par le développement». Au-delà des ambitions économiques, l'enjeu évident de cette rencontre, qui sera d'autant plus suivie qu'elle a été commentée en amont, semble la normalisation de relations trop épidermiques, qui ne demandent qu'à forcir et mûrir pour ne plus s'abîmer.