«Pour faire ce métier, il faut avoir une santé de fer». Yasmina Reza, une actrice, romancière et auteur de pièces de théâtre raconte dans son livre, L'Aube, le soir ou la nuit, la conquête de l'Elysée par Nicolas Sarkozy. L'extrait que nous vous présentons rapporte, dans le menu détail, les paroles échangées entre le Président Bouteflika et le candidat Sarkozy lors de leur rencontre à Alger en 2006. Ils sont séparés par un guéridon et un bouquet de roses, chacun dans un fauteuil, dans cette position trois-quarts que je sais commune mais qui n'en demeure pas moins étrange. De chaque côté, alignés en silence, cinq Français de la délégation et quatre ministres algériens. Pas de journaliste, excepté Jean-Pierre Elkabbach qui est là en tant qu'amical témoin. Nicolas parle le premier. -Monsieur le Président, on vous retrouve en pleine forme. -Oui. J'ai eu un accident mortel et je n'en ai aucune séquelle. Pour faire ce métier, il faut une santé de fer. -Si, par extraordinaire, je deviens président, j'aurai le bonheur de travailler de longues années avec vous. -Si Dieu le veut. -Donc moi je dois mon avenir aux électeurs, et vous à Dieu. Abdelaziz Bouteflika est paisible. Il porte une cravate gris métallisé. Il écoute impassible son interlocuteur et même s'il est d'accord, ne donne jamais l'impression de l'être. On dirait qu'il s'amuse à emprunter des sentiers parallèles, toujours un peu décalés en hauteur. Il appelle Nicolas «cher ami», qui lui, l'abreuve de «Monsieur le Président». Chacun ayant à coeur de bien manier ces subtiles révérences. -Vous avez du cran et du caractère. Des qualités essentielles. La souffrance se voit sur votre visage. Vous avez quelques rides. Deux kilos de plus ne vous feraient pas de mal. -On s'approche de l'échéance monsieur le Président. Mais je ne suis pas anxieux. Je suis prêt. -Vous allez passer un examen, cher ami. Quand on a bien travaillé, il n'y a rien de déshonorant à échouer. Vous n'avez aucune raison d'être anxieux. Car si ça ne marche pas cette fois-ci, ça marchera la prochaine fois. -Il faut que ça marche là. -Vous avez un atout de taille, c'est l'âge. La conversation se suspend. Abdelaziz Bouteflika assume le silence sans faire le moindre mouvement. Puis reprend -...Qui doit vous donner toute la sérénité du monde. Nicolas se tait. Il baisse la tête, fixe le sol, ses pieds. Puis revient dans le regard du Président algérien. Qui attend. Souvenir de cette phrase de Kasparov: «Je peux-peut être battre Kramnik, mais pas le temps qui passe.» Parmi les notes prises au cours de ce long entretien, se détachent certains mots. -...la mondialisation que vous prenez pour un défi et non comme une épreuve. Pour nous, c'est une épreuve. Pour vous, un défi. -Vous êtes en train de faire un parcours sans faute mais, je vous le dis amicalement, quand vous êtes ferme, dites aussi autre chose. Soyez ferme, mais dans le même temps, dites que vous êtes sensible aux problèmes sociaux. Dites en même temps que les problèmes sociaux ne vous laissent pas indifférent. -J'entends. -Moi, j'appartiens à une génération qui voulait la destruction d'Israël. Nous avons échoué. Echoué. C'est fini. J'apprécie, cher ami, votre position sur Israël. Mais n'oubliez pas qu'il y a un peuple palestinien qui a droit à un Etat. Et ça manque un peu dans vos intonations. -J'entends, monsieur le Président. -N'ayez pas peur. Il ne faut jamais avoir peur. En 89, j'ai tout fait pour ne pas me faire élire. J'ai dit le contraire de ce que les gens voulaient entendre. Pas grave d'être impopulaire. -Je retiens, monsieur le Président. In: L'Aube le soir ou la nuit de Yasmina Reza. Editions Flammarion. Août 2007.