Il ne suffisait ni plus ni moins que de lire deux ou trois quotidiens en ce long week-end de l'Aïd Al Adha pour saisir tous les paradoxes qui minent l'Algérie. Rien ne va plus dans ce vaste empire pétrolier où la principale préoccupation de nos dirigeants est d'engranger les réserves de change au point d'avoir battu tous les records en 45 ans d'indépendance. Nos caisses sont pleines à craquer et notre peuple ploie sous la misère. De la bouche même de ceux qui nous gouvernent, nous apprenons chaque jour que vivre en Algérie est une gageure décidément difficile à relever. Kafka y perdrait son fil d'Ariane. Le premier aveu de cette impuissance à gérer les affaires de la collectivité nous vient du wali d'Alger. Il a offert un vrai scoop à la presse sans que celle-ci ne daigne, hélas, en faire ses choux gras. Il a eu le courage de révéler que pas moins de 40.000 bidonvilles ceinturent sa wilaya! En lisant l'information, j'avoue que, d'emblée, j'avais un moment d'hésitation. N'y aurait-il pas un Zéro en plus? Le service de correction du journal n'a-t-il pas encore laissé filer une perle que la rédactrice de l'article, étourdie par les préparatifs de la fête, a commise sans se rendre compte des dégâts politiques qu'elle pouvait induire? 40.000 BIDONVILLES, rien qu'à Alger! Le wali n'a-t-il pas commis, lui aussi, un lapsus? Des lecteurs de L'Expression ont réagi via Internet ou par téléphone. Ils nous accusent ni plus ni moins de «négligence professionnelle» en laissant échapper les zéros dans cette macabre comptabilité des SDF de la capitale. Voici ce qu'un de nos lecteurs écrit à ce propos: «Vous dites 40.000 bidonvilles à Alger. Un petit calcul de 100 personnes par bidonville nous donne 40.000 x 100 = 4.000.000. Soyons sérieux.» Vérification faite, le wali a bel et bien prononcé, publiquement et devant la presse, ce chiffre choquant de 40.000 bidonvilles. L'APS, organe officiel de l'Etat, l'a repris mardi sur son fil, mais en parlant «d'habitations précaires». Autrement dit, combien de baraques faudrait-il, en langage sibyllin, pour constituer un bidonville? Mais osons poser la question insidieuse: si à Alger, l'on a recensé 40.000 bidonvilles, combien en existe-t-il, au total, dans les 47 autres wilayas du pays? Voilà la morale politique de nos gouvernants violentée au moment où se développe une réelle paranoïa sur les risques d'explosion sociale. Le lait devient introuvable sur les étals de marché. Le prix de la semoule et celui de la pomme de terre plafonnent à des niveaux jamais atteints. Comme si cette flambée des prix ne suffisait pas, voilà que des apprentis sorciers jettent de l'huile sur le feu en faisant augmenter le prix du bidon de cet oléagineux de près de 100%. Soit de 430 à 750 dinars. En invoquant bien sûr la litanie habituelle de la flambée des cours sur le marché international. Ce qu'on veut taire dans cette histoire inexpliquée sur les prix exorbitants des denrées de première nécessité, c'est la complaisance pour ne pas dire la complicité tacite entre les autorités et certains industriels et importateurs. Les Algériens ont entendu, en direct, sur l'ENTV, un ministre d'Etat, M.Bouguerra Soltani, prendre la défense d'un richissime industriel décidé à faire boire le calice...jusqu'à la lie aux consommateurs algériens. Ce ministre d'Etat ne plaide plus pour les pauvres, mais vient au secours des nantis en exigeant que l'argent du contribuable vienne financer et soutenir, non pas le manque à gagner, mais les dividendes alléchants que procure à son importateur la graine oléagineuse. L'intervention de ce respectable et digne ministre d'Etat s'explique par le fait qu'il est en même temps le «patron» du ministre du Commerce, M.Djaâboub. La parenté du MSP réalise, comme on vient de le voir, de vrais... miracles. Les privilèges fiscaux et les autres combinaisons juteuses, actuellement en vogue, ont eu comme résultat immédiat celui d'affamer la population. On nous a promis de réformer, toujours réformer, dans le sens d'une justice sociale. Mais, hélas, nous devons nous rendre à l'évidence que rien n'a été fait pour. Chaque jour qui passe fait que nous entrons de plain-pied dans l'esprit marchand. Tout flambe dans ce pays et l'on est tenté de dire que l'on est déjà dans la panade lorsque l'Histoire nous a appris que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les kamikazes et les harragas viennent de ces bidonvilles où la misère humaine engendre la haine. 40.000...Ce chiffre fait dresser les cheveux sur la tête quand on sait, depuis longtemps, que nos kamikazes ne viennent ni des palais, ni des villas cossues d'Alger, mais des bidonvilles dont parle précisément le wali de la capitale.