Kamel Amzal paiera de sa vie sa berbérité. Le 30 novembre 1982, à la cité Abderrahmane-Taleb de Ben Aknoun, l'alliance bâtarde entre les baâthistes et les islamistes était flagrante. Kamel Amzal paiera de sa vie sa berbérité. En cette nuit du 30 novembre 1982, l'insoupçonnable allait être vécu. Habitués depuis des années à la répression multiple, aux intimidations d'un pouvoir usant de mille et un subterfuges pour casser le Mouvement culturel berbère, l'ensemble des résidents de la cité universitaire Abderrahmane-Taleb de Ben Aknoun était au courant de la lutte que se livraient l'UNJA et les Frères musulmans pour la prise du comité de cité. Partagée entre ces deux clans d'un même courant islamo-baâthiste, la cité était un lieu de prédilection pour asseoir une idéologie dont le seul et unique objectif restait de nier l'entité amazighe. Il était 8h13 min quand, à trois, Hammouche, Arezki et moi-même arrivons au foyer pour prendre des cafés. L'ambiance tendue, le nombre de personnes présentes n'atténuent en rien cette convivialité qui nous animait et qui caractérisait les étudiants en ce temps-là. En voyant entrer cinq personnes une affiche dans les mains, Arezki Rabia demande à Hammouche Aïnouche de mettre ses souliers. Un cri strident traverse le foyer. Allah Ouakbar était le signal du début de l'expédition punitive décidée par les barbus et leurs alliés d'un jour qui ne ménagent personne surtout pas les Kabyles. Par réflexe je m'adosse contre le mur au moment où Arezki passe par les cuisines tandis que Hammouche monte au premier étage. Après la première attaque, je quitte le foyer calmement pour éviter d'attirer l'attention des fous de Dieu décidés à tout. Arrivé à la sortie, une douleur traverse mon corps: c'était le coup asséné par un barbu posté dehors avec ses acolytes, organisés en brigade, à l'aide d'une chaîne de vélo. Hammouche, lui, sera poignardé, mais survivra. Plus tard nous apprendrons le décès de notre ami Kamel Amzal dont le seul tort était d'être beau, intelligent et fier de sa berbérité surtout. Kamel n'avait pas obéi au conseil de feu Bacha Mustapha qui avait prédit cet attentat et nous avait supplié d'éviter le foyer. Dans une Renault 25 blanche, M.Abdelhak Berrerhi, alors ministre de l'Enseignement supérieur, échappera à notre colère quand il quittera la cité juste après les événements dont il avait été informé. L'intervention des agents de sécurité confortera notre appréhension quant à la complicité avérée entre le pouvoir islamo-baâtiste de l'époque et les Frères musulmans, puisque la plupart des agresseurs venus de Kouba, de Bab Ezzouar..., auront tout le temps nécessaire pour quitter la cité en passant par le lycée Amara-Rachid pour rejoindre ensuite des véhicules garés sur la route Chevalley- Stade du 5-Juillet. Ces faits ne sont ni un scoop ni une révélation. Ce qui se passera le lendemain en étonnera plus d'un. Assis à Omar-Racim, un individu répondant au prénom de Kamel, inscrit depuis 10 ans en première année mathématiques, nous invite à un meeting au niveau du resto-Amirouche pour dénoncer et condamner - c'était la spécialité des relais du pouvoir en cette période-là - les faits de la veille. A midi, au lieu d'aller à ce rassemblement, nous nous dirigeons à Trollard où nous trouvons Kamel au milieu d'un groupe de filles discutant et rigolant... Nous apprendrons que cet individu travaillait pour les services. L'autre point noir qui suscitera nos doutes reste la facilité avec laquelle des «étrangers» à la cité y ont accédé, cette nuit-là sans être inquiétés alors que les cartes de résidents devaient être présentées matin et soir. Le lieu où Kamel sera retrouvé restera une énigme, puisqu'il n'était pas au milieu de la foule, mais du côté du kiosque c'est-à-dire loin du panneau d'affichage où la bagarre avait éclaté. Le crime était prémédité, le comité de cité n'était qu'un prétexte pour agresser les membres du mouvement qui commençaient à déranger sérieusement surtout que la Fac centrale était acquise au mouvement depuis la répression aveugle du 18 mai. Ce crime et ceux commis à Tizi Ouzou en 1980 à Oued Aïssi et M'douha, au lieu d'atténuer la volonté des militants de la cause identitaire, accentueront notre détermination. Le printemps noir et ses acquis ne sont que les premiers résultats de cette lutte qui ne cessera qu'avec la reconnaissance totale de notre identité comme l'a exigé notre directeur Ahmed Fattani à la télévision et pour laquelle sont tombées des centaines de martyrs.