Le ligotage des mains et des pieds, le fer chauffé au chalumeau et le châtiment corporel... Le summum de la sauvagerie humaine. Le jeune Goumid (30 ans) Mourad, natif de Aïn Témouchent, était asthmatique à sa tentative de harga en 2006. Son état de santé s'est dégradé à son incarcération. Il est décédé dans les geôles marocaines lorsque la Mekhaznia a refusé de lui remettre son médicament, confisqué à son interpellation à Nador. Les habitants de Aïn Témouchent s'en souviendront éternellement. Plusieurs dizaines de camarades de Goumid ont tenté la harga via le Maroc. Ils ont été, à chaque fois, victimes des exactions graves jusqu'à l'atteinte à leur dignité par la police marocaine. Il s'agit, particulièrement, des premiers immigrants avant que le phénomène ne prenne de l'ampleur. Ces derniers gardent à jamais les séquelles des violences inouïes subies dans les commissariats de Nador et de Oujda. Des femmes et des hommes n'ont pas échappé à ces dépassements et à ces atteintes à leur dignité, aux traitements inhumains de la Mekhaznia. Aujourd'hui, ils ont décidé de briser le mur du silence. Ils veulent partager leurs pénibles secrets. Ils font part des sévices endurés. Ils sont pour la plupart originaires de Aïn Témouchent. Moulfi Djamel, Daoud Mohamed, Ben Othmane Saïd, Bekhiche Kamel, Gharbi Soufi, Lagouni Nourredine en ont plein le coeur et vident leur sac. La raison n'arrive plus à contenir les souffrances. Ils dévoilent des vérités inouies sur des scènes abominables de violences qu'ils ont vécues ou auxquelles ils ont assisté. Arrestations, passage à tabac...et exactions La police marocaine guette le moindre signe pour actionner la machine répressive. Elle utilise la force et la brutalité. Elle est partout et bafoue toutes les règles des droits d'incarcération. La Mekhaznia a, depuis que l'Algérie décida, en 1994, la fermeture de ses frontières Ouest, adopté la violence comme seul moyen de répondre à l'immigrations clandestine des Algériens. Pour les harragas algériens, qui ont tenté de rallier l'Espagne, les terres marocaines ne sont toujours pas hospitalières. Ils sont refoulés, mais de quelle manière? Le refoulement n'est prononcé qu'après les pires atrocités. Même le «bakchich» versé aux policiers de Sa Majesté ne sert à rien. Une seule certitude taraude alors les esprits de ces «Chragas» - au Maroc, les Algériens sont appelés Chragas en référence au pays de l'Est: sortir indemnes. Ce qui n'est jamais garanti d'avance. Et les invectives, les intimidations, le matraquage, le ligotage des mains et des pieds, le fer chauffé au chalumeau, le châtiment corporel...Les policiers alternent dans leur besogne bannissant les droits humains les plus élémentaires. Mohamed Daoudi n'oubliera pas de sitôt son séjour infernal au commissariat de Nador et à la prison d'Oujda. «Un séjour de plusieurs dizaines de jours qui a viré au cauchemar.» Il en garde la marque d'un fer chaud sur l'épaule. Un traitement réservé exclusivement, aux animaux, par les cow-boys du Far West. Le jeune Daoudi, 28 ans, a tenté l'aventure car sa terre natale, Aïn Témouchent, n'est plus nourricière, pour subvenir aux besoins de sa famille. En 2001, il prend comme destination Nador, ville frontalière de Melilla (Espagne). Après un court séjour, il devait rallier la terre ibérique, avec un faux passeport marocain, remis par son passeur. Mal lui en prit. Des Marocains ayant remarqué la présence de quatre Algériens dans la chaîne au niveau du poste frontalier ont averti les policiers. Le jeune Daoud et ses trois compagnons furent interpellés et matraqués jusqu'au sang. Transférés au commissariat de la ville de Nador, ils subirent toutes les humiliations. La gorge nouée, Mohamed Daoud témoigne: «On nous a déshabillés à la première minute qui a suivi notre identification. Un policier m'a reconnu comme étant récidiviste.» Le feuilleton des sévices ne fait que débuter pour Daoud. «D'autres policiers sont passés à l'acte. Ils nous ont tabassés à l'aide d'un câble électrique. Non satisfaits de leur oeuvre infernale, les mêmes policiers nous emmènent au sous-sol du commissariat, et ce fut le cauchemar.» Pour étayer ses propos, Daoud dévoile la cicatrice gravée au fer et à jamais sur son épaule. «Au sous-sol, nous avons subi le pire des châtiments corporels, nos bourreaux ont chauffé à l'aide d'un chalumeau, un fer et chacun de nous quatre a été marqué sur une partie du corps.» Le même harraga a accepté de témoigner sur un cas d'exaction répété, sur trois femmes algériennes dans le commissariat d'Oujda. Bessahraoui Nourredine, âgé de 45 ans, a été arrêté en 2004 à Beni Sar, poste frontalier de Nador avant d'atteindre Melilla. La brutalité singulière du Mekhaznia «Parmi nous, il y avait un père et son fils de 14 ans. Le père a pu franchir le poste de Beni Sar et gagné Melilla tandis que son fils a été arrêté», se souvient aujourd'hui Bessahraoui. Depuis le transfert au commissariat et la garde à vue prononcée contre les personnes interceptées, le jeune enfant n'a plus donné signe de vie, a-t-il ajouté. Selon Bessahraoui, ces scènes d'atteinte à la dignité des jeunes Algériens sont fréquentes. Notre interlocuteur cite le cas d'un couple d'Algériens maltraités. La femme a été tabassée devant son mari. Un autre harraga, une autre histoire...Nourredine Lagouni a refusé de rejoindre le maquis terroriste en 1992. Sa vie est, depuis, intimement et vainement liée à la harga. Aussi, le nom et les histoires de ce vieux des routes de Tounane, El Bhira, Bab El Assa à Ghazaouet (Tlemcen) peuvent remplir des fascicules. Depuis 1992, il n'a cessé de rallier l'Espagne. Expulsé, tantôt des terres ibériques, tantôt du Maroc, il garde en tête éternellement son projet: regagner l'Espagne. Son ultime tentative ayant échoué remonte au mois dernier. Il a été refoulé de Nador. Dans plusieurs de ses péripéties, il a été témoin de plusieurs cas de viol. Des Algériennes ont été interpellées aux frontières. La suite est connue, lâche-t-il timidement. Les harragas algériens connaissent par coeur et les routes qui mènent vers les issues espagnoles et les hommes qui les surveillent. Parmi ces anges-gardiens, l'officier Mustapha Lgharbi. La bête noire des harragas. Un autre nom hante les esprits de tous les harragas. Il est derrière l'échec d'un nombre important de tentatives de la harga via le Maroc. Juge et bourreau. Pour Lagouni Nourredine, cet officier marocain est, à la fois, impliqué et associé dans toutes les histoires liées aux malheurs des Algériens et des Algériennes qui ont frôlé la folie. Il flaire la présence de tout immigrant clandestin, notamment celle des Algériens. De nuit comme de jour, aucun détail ne lui échappe. Des mesures...que des paroles en l'air Ni les mesures de Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité nationale, ni les actions sociales n'ont tempéré l'ardeur, encore moins et le désir des harragas. Une seule idée les obsède; partir ailleurs. A Aïn Témouchent ou El Ghazaouet, le même constat. Des jeunes, moins jeunes, des licenciés, des récidivistes, guettent la moindre occasion pour prendre le large. A Aïn Témouchent, M.Rezkallah, commandant du groupement de la gendarmerie, nous a annoncé qu'une batterie de mesures est mise en oeuvre. Les 14 plages de la wilaya sont surveillées. A tout mouvement suspect, une alerte est déclenchée et suivie d'une intervention. Aussi, le dispositif du renseignement est en quête permanente d'informations. Plus loin, les plages de Oued El Halouf, Targa, Aïn Kihel, Rechgoune, Sassel, Bouzedjar, El Mordjane, Sidi Djeloul, sont devenues des lieux d'embarquement à ciel ouvert. A Ghazaouet, des jeunes et adultes ont installé plusieurs camps, notamment au niveau de la forêt de Ouled Abdellah. Ils attendent de longs mois, le temps que l'étau se desserre pour tenter l'aventure. Les candidats connaissent tous les accès, maritimes ou terrestres. El Bhira, Ouled Dziri, et Trik Tounane à El Ghazaouet (Tlemcen) mènent tout droit à Almeria, le point le plus proche. Les issues de Boujdour, Boukanoun, village Nylou, Bir El Djeref, donnent accès à Saaïdia plage, Ahfir et Oujda (Maroc). Le passage de Bab El Hassa (Maghnia) permet d'atteindre Lala Aïcha au Maroc. Ceci pour les voies terrestres. Le phénomène prend des virages dangereux. Vivre dignement ou mourir en martyr, est le credo des harragas. Onze corps ont été repêchés ces dernières 24 heures au large des plages d'Oran. Entre les dents de la mer et les griffes de la prison, des récidivistes ont décidé d'abandonner le phénomène. La plupart d'entre eux ont à leur actif plus de trois tentatives de harga. Ils veulent lutter contre l'immigration clandestine. Les rescapés de la mer et ceux qui ont subi l'humiliation de la Mekhaznia, inscrivent leur action dans la durée. Ils aspirent a être, d'abord, pris en considération à travers des actions en leur faveur. Mais ils aspirent aussi que l'Etat se penche sur les cas de dépassements qu'ils ont vécus au Maroc.