Cet homme révolté sera inhumé demain dans sa Martinique natale. L'homme de lettres français et chantre de la «négritude», Aimé Césaire, est décédé jeudi dernier, en Martinique à l'âge de 94 ans. Il sera inhumé demain à Fort-de-France en présence de plusieurs personnalités de par le monde. Figure emblématique des Antilles françaises, Aimé Césaire avait été admis pour des problèmes cardiaques le 9 avril à l'hôpital de Fort-de-France, sur son île natale de la Martinique, où il est décédé. Cet «homme de culture en action» a consacré sa vie à servir, avec abnégation, une cause qui le propulsera au-devant de l'actualité de son époque: la défense des opprimés. Il le dit. Il le crie sur tous les toits. Il le scande devant toutes les assemblées: «Je suis de la race de ceux qu'on opprime.» Néanmoins, «Papa Césaire», comme se plaisent à l'appeler les Martiniquais, ne fait pas partie de cette race d'hommes qui subissent leur destin, en se courbant docilement devant la fatalité. «Il y a chez moi ce besoin de rugir parce que les Antillais, descendants d'esclaves, êtres déchirés, ont été opprimés, dépouillés de leur langue et de leur terre», déclarait-il en 1993. Rugir. Ce mot recèle en lui quelques relents d'une liberté que seuls les hommes du «genre» de Césaire en connaissent le véritable sens. Né en 1913 à Basse-Pointe, sur la côte nord de la Martinique, dans une famille de petits fonctionnaires, Aimé Césaire avait été confronté très jeune à la misère de la population rurale d'une île profondément marquée par deux siècles d'esclavage et qui avait alors le statut de colonie. Etudiant à Paris dans les années 1930, il avait forgé avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon-Gontran Damas, le concept de la «négritude», la conscience de l'identité noire, la «fierté d'être nègre» et de revendiquer ses origines africaines. Le concept de «négritude» avait rapidement débordé le cadre des seuls intellectuels noirs français pour se répandre dans les pays colonisés, en Afrique, dans les Caraïbes, et au-delà chez les militants noirs américains en lutte pour les droits civiques. Le message d'Aimé Césaire avait, dès lors, pris un caractère universel, notamment après la publication, en 1950, de son fameux Discours sur le colonialisme. Voici ce qu'il y écrivait, il y a de cela 58 ans: «Il faudrait, d'abord, étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a au Vietnam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte une fillette violée et qu'en France on accepte un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent. [...]». A travers ce brûlot, Aimé Césaire a mis à nu le colonialisme. C'est plus qu'un écrit, c'est une rébellion, c'est plus qu'une révolte, une révolution. Il n'a d'ailleurs cessé de défendre cette position. Et pour preuve. Il avait prévenu, en fin 2005, qu'il ne recevrait pas le ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui devait se rendre aux Antilles. «Je ne saurais paraître me rallier à l'esprit et la lettre de la loi du 23 février 2005», expliquait-il. Ainsi parlait Aimé Césaire...qui sera inhumé demain.