«Que les responsables de la culture soient conscients de la tâche qui leur est confiée....» L'Expression: Tout d'abord, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs? Bouaddou Sid-Ahmed: Je suis interprète chaâbi. J'ai ça dans le sang. Depuis mon très jeune âge. J'ai commencé à jouer de la guitare depuis l'âge de 6 ans. Mes parents n'ont pas été contre. C'était plutôt une motivation pour travailler mieux à l'école. Etant d'une famille pauvre, je ne pouvais pas me permettre d'acheter une guitare. Ce qu'on faisait à l'époque dans les années 65-66, est de transformer les bidons d'huile pour en faire des guitares à l'aide de fil de pêche et de câbles de vélo. Au lycée Emir Abdelkader, j'ai eu la chance de connaître Noureddine Saoudi. Il avait une petite avance sur moi. Je pense qu'il a fait le Conservatoire. Donc, j'ai appris à jouer à ses côtés. Après le Bac, je me suis orienté vers la Fac de droit et là, j'ai côtoyé des musiciens amateurs comme moi et constitué un orchestre. C'était la période de la révolution agraire, donc on faisait de l'animation en volontariat. Il y avait, à l'époque, Beldi Mohamed, que je salue et qui est devenu, par la suite, directeur régional de la BDL, aussi Hadj Mustapha, Bensedik Mohamed, et d'autres...A Birkhadem où j'habite, il y avait beaucoup de chanteurs et musiciens chaâbis, d'ailleurs cette ville est réputée pour ça. On était encadrés au niveau des scouts. Arrivèrent donc les années 76, 77 et 78, et il y avait des concours au niveau de l'APC de Bordj El Kiffan, laquelle avait sollicité l'APC de Birkhadem -à l'époque, on accordait une grande place à la culture- pour encourager les jeunes. Et durant ces trois années, j'ai obtenu le premier prix du concours. Puis vint la période du Service national. Même au niveau de la caserne, on avait formé une troupe de musique chaâbie. J'avais commencé à animer les soirées familiales dans les années 70. C'était la belle époque. Pendant les années 80, j'ai vraiment travaillé. J'étais très sollicité pendant l'été. Maintenant, les données ont un peu changé. Vous savez, «El ali» a ses gens. Comme dans le jargon du chaâbi, il a ses «douaquine». Le chaâbi c'est notre patrimoine. On assiste ces dernières années un peu à sa dénaturation. Je parle du côté pratique. Les mariages sur les balcons, dans les rues et dans les jardins sont aujourd'hui révolus à cause des problèmes de sécurité. Or, c'est ce qui fait le charme de ses qaâdate de chaâbi. Tout cela commence à disparaître au niveau d'Alger, et est substitué par les salles. L'inspiration pour un interprète chaâbi vient plus sur une scène dans un jardin que dans une salle où l'on est enfermé. On ne se retrouve plus. Je parle de moi-même. Vous nous avez confié que votre maître dans le chaâbi c'est feu El Hachemi Guerrouabi. Un mot là-dessus. Oui. J'ai fait partie de la première vague des disciples de Guerrouabi. Que Dieu ait son âme. C'était mon maître par télépathie. J'aimais son genre, donc je l'imitais bien. A cette époque, il y avait d'autres élèves de Guerrouabi. Je citerais Mohamed Touazane, que je salue et qui est un très bon interprète, malheureusement on a tendance à l'oublier. Il y avait aussi Hamid El Aïdaoui, Brahim Chaplia que beaucoup ne connaissent pas. Là, vous parlez des anciens, mais peut-on parler de relève dans le chaâbi, ou bien s'agit-il finalement que de la reprise de morceaux de cette musique, certes, de notre patrimoine? Le chaâbi ne pourra pas mourir. Il a failli peut-être mourir dans les années 70, mais il a été récupéré par un grand maître qui est Mahboub Bati, qui a su insuffler au chaâbi le genre de la chansonnette. Il a su récupérer toute la jeunesse de l'époque qui était portée peut-être beaucoup plus vers le twist. En plus des qaçaid, Guerrouabi, Boudjemaâ El Ankis, Amar Zahi, en animant les fêtes familiales, interprétaient une ou deux chansonnettes de Mahboub Bati. Mais, aujourd'hui, cette innovation de jadis devient caduque. Aujourd'hui, c'est le texte qu'il faut changer et réadapter en fonction des maux sociaux du moment. Je prends un exemple. A notre époque, il n'y avait pas Diar El Rahma, et là je salue l'oeuvre de Mustapha Yanès qui a chanté Dar El Adjaza. Il y a aussi, aujourd'hui, le fléau des harragas. Le texte doit être très simple pour attirer les jeunes. J'entends par là définir les maux de la jeunesse d'aujourd'hui et suggérer des solutions. L'interprète de chaâbi doit faire passer le message. Didine Karoum a fait une bonne chose; dans un morceau, il parle de la violence dans les stades. Je pense que c'est une bonne initiative. Le chaâbi, c'est notre patrimoine, on ne doit pas le laisser tomber. Que doit-on faire alors pour le préserver, à votre avis? Il faudrait que les gens de culture, qui sont chargés de la préservation du patrimoine, soient à la hauteur. La gestion d'un artiste est aussi spécifique. Exit le copinage, il faut les hommes qu'il faut pour relever le niveau. L'artiste est une personne sensible, dans certains pays, elle ne passe pas le service militaire. On ne peut pas lui apprendre à tuer. C'est grâce à l'artiste que la culture d'un pays existe. Une structure est chargée de la culture parce que l'artiste existe. La structure se doit d'être au service de l'artiste, lequel artiste est au service du public. Vous parlez d'artiste et de professionnalisme, ne pensez-vous pas justement qu'il y a amalgame dans la demeure, en chantant uniquement dans les mariages? Pas du tout, c'est un honneur de chanter dans un mariage. Quand on vient vous solliciter pour chanter dans un mariage, c'est d'abord parce qu'on vous a choisi parmi des milliers de chanteurs. Aussi, pour se produire au niveau du territoire national, il y a des structures qui sont chargées de programmer des festivités. Pour «Alger, capitale de la culture arabe», je n'ai fait que deux soirées. Une, à l'auditorium de la Radio et l'autre au Palais de la culture. Mais ceci est un autre débat...Il y a trop de copinage. Qu'est-ce que vous voulez qu'on y fasse. Heureusement, que je ne vis pas de ça. Car, l'artiste, excusez-moi du terme, est obligé de se prostituer. C'est la chose à laquelle on assiste actuellement. Et puis, ce sont toujours les mêmes artistes qui sont sollicités pour se produire en gala. Les autres sont complètement ignorés. L'artiste doit avoir une certaine considération. Ce n'est pas une marchandise. Il a un statut, même si ce n'est pas encore le cas car il est en projet, il doit être respecté. Si vous appelez une structure, la moindre des choses serait que ses responsables vous répondent. Il faut élever le niveau. Avez-vous des enregistrements sur le marché? Non. Beaucoup de gens me reprochent ça. Je dis que je fais ça par amour, par passion. J'en suis fier. Car si j'avais fait ça pour vivre, ça m'étonnerait que je puisse être à l'aise, a fortiori, sachant les conditions de travail d'un artiste en Algérie. Je le dis sans animosité. Actuellement, je suis sur un projet qui va bientôt être sur le marché. Ce sera des petites chansonnettes, avec un air de chaâbi traditionnel. Ce sera un hommage que je compte rendre au maître, feu Guerrouabi. Un dernier mot? Que les responsables de la culture soient conscients de la tâche qui leur est confiée. Je tiens à mettre en évidence le rôle que joue la radio El Bahdja, la Chaîne I avec son émission Bit ou siah, radio Mitidja, la Chaîne III pour son émission Kahoua oua Lataye, avec Sid-Ali Dris. Mais celle qui accorde beaucoup de place au chaâbi, c'est radio El Bahdja. Je salue aussi l'initiative de Mohamed Karb, qui donne la chance à des musiciens de passer un concours en direct à la radio, avantage que nous n'avions pas à notre époque. Il y a aussi le Festival du chaâbi avec Abdelkader Bendaâmache qui se donne corps et âme pour cette culture...Je suis confiant en l'avenir du chaâbi. Je remercie aussi l'Orchestre national avec à sa tête, le chef d'orchestre Mokdad Zerouk, avec lequel j'ai effectué des tournées.