Rencontré dans les coulisses de l'émission Saraha Raha, le rappeur évoque son passé, ses projets et l'état actuel du rap algérien... L'Expression: Tout d'abord, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs? Youssef:Je m'appelle Youssef. J'étais leader du groupe Intik. Là, je suis parti sur une carrière solo. Cela fait deux ans et demi que je travaille sur mon album. Avec le groupe, nous avons fait ce qu'on appelle une belle aventure humaine qui a abouti sur deux albums en France chez un grand label, Sony Music. Après, on s'est rendu compte que chacun de nous avait des directions plus ou moins différentes l'un par rapport à l'autre. C'est ce qui m'a poussé à aller vers la concrétisation de mes idées artistiques et d'«accoucher» d'un album. Racontez-nous un peu votre parcours dans le groupe... Je tiens à signaler que je n'ai pas choisi d'être le leader, c'est juste une question de langue. J'avais une facilité à communiquer. Nous sommes partis en France en 1998. On était invités par Imotep qui est l'architecte musical du groupe Iam. Il avait entendu parler d'un groupe algérien et à la même année, nous avons été invités au festival logic hip-hop qui s'est déroulé à Marseille. Suite à la prestation que nous avons donnée, on a été contactés par pas mal de producteurs indépendants là-bas et on a fini par signer chez un des producteurs. Après, c'était une question de négociation. On avait enregistré des maquettes dont la chanson Va le dire à ta mère que j'avais écrite ici en Algérie, et on avait des propositions par des maisons de disques suivies de transfert de contrat. Vous savez, moi je suis plus dans l'artistique que dans le business, c'était plus aux agents et aux managers de s'occuper de cela. Cela fait maintenant plus de six ans que nous sommes en France. Chacun de nous a retrouvé sa liberté artistique. Quelle est votre actualité? Je suis sur le point de finir mon album. Cela fait deux ans et demi que je travaille dessus. Il porte le nom de Yous, le diminutif de mon prénom. C'est un nom facile que les gens peuvent retenir. Ce qu'on appelle un bon «guimic». A travers cet album, j'essaye d'apporter quelque chose de notre culture mais pas n'importe comment. C'est-à-dire apporter ce qu'il y a de meilleur en notre culture. Elle est tellement riche qu'on n'a pas besoin d'aller voir ailleurs. Mais comme j'aime la soul music, le reggae, le funk, la musique des années 80, il y a aussi toutes ces influences qui ressortent quelque part. C'est un mélange de reggae chaâbi... Ce n'est pas régionaliste, j'ai essayé en étant en France, de faire en sorte de toucher un maximum de personnes puisque je m'adresse à un marché français. C'est la raison pour laquelle tous mes textes sont en français... Pensez-vous que le public français pourra s'identifier aux maux de la société algérienne? Le but n'est pas de comparer les deux vies. Moi, en tant qu'Algérien, je suis né et j'ai grandi ici, mon premier amour, c'était ici, mes premières cicatrices idem. Je n'ai pas de problèmes d'identité. Je suis complètement Algérien, c'est la raison pour laquelle je ne brandis pas mon identité et ne la mets pas en avant. Je comprends qu'un fils d'immigré qui vit en France et qui est né là-bas, c'est un repère identitaire pour lui de monter sur scène avec un chapeau algérien. Or moi, je suis Algérien, mais complètement ! Le plus important, c'est de faire passer un message aux gens et de les faire cogiter. Que pensez-vous du rap algérien actuel? On a l'impression qu'il sature, qu'il stagne. En fait, beaucoup de personnes n'ont pas compris ce que c'était le rap. Beaucoup pensent que le rap est fait pour dire du mal du pays ou un truc dans le genre. Or, ce n'est pas forcément ça. Il y a tellement de problèmes autour de chaque individu, qu'il suffit juste de regarder autour pour trouver les thèmes où les gens pourront s'identifier. On ne peut pas dire: «Y'en a marre, visa!» C'est trop classique... Quel est donc ce message qu'il faut véhiculer d'après vous? C'est un message positif. C'est vraiment une responsabilité d'avoir le pouvoir de la parole. Quelquefois, il ne faut pas avoir peur des mots. Il y a des jeunes qui écoutent ce qu'on dit. On peut les pousser à faire quelque chose de mal, il faut qu'il y ait une conscience artistique. Pensez-vous que pour être chanteur de rap, il faut impérativement venir du ghetto ou est-ce une étiquette qu'on colle finalement aux rappeurs? Je suis né à Alger. J'ai grandi au parc de Galland, je suis issu d'une famille modeste, je me suis vite intéressé dès mon jeune âge à la langue française. J'ai compris que c'était un atout formidable, en Algérie. A mon époque, je dirais que le fait de parler français, cela ouvrait des portes malheureusement. A 15, 16 ans, quand on arrivait en boîte, et qu'on parlait arabe, on ne nous laissait pas entrer mais dès qu'on se faisait passer pour des «gouers», l'entrée était facile. Je me suis dit, il y a deux solutions: soit accepter mon sort et ne pas sortir, ne pas s'amuser, soit déjouer cette mentalité en trichant, pour la bonne cause, je dirais. Ceci dit, quand on parle de blues, on ne peut pas dire qu'il est fait exclusivement pour les Noirs américains. On n'est pas obligés de venir d'un milieu «défavorisé» pour chanter le rap. Ce que je reproche à certains rappeurs, c'est qu'il y en a beaucoup qui «rapent» une vie qui ne leur appartient pas. Et cela n'est pas bien. Dire que c'est la misère, ce n'est pas ça forcément le rap. Ce n'est pas du tout cela. On peut très bien venir de Londres et chanter la lumière aussi. C'est mon cas, j'en ai marre de livrer des messages négatifs qui saoulent les gens. Ma mère ne sait ni lire ni écrire, mon père que j'ai perdu quand j'étais gosse était chauffeur de taxi, ce n'est pas pour autant que je chante la misère. Justement, la vie ne se résume pas au noir et au blanc. Il y a d'autres couleurs à côté. Votre album sortira quand? Au cours de l'année 2005 chez Sony Music normalement. C'est en négociation. Il y aura une promo, cela pourrait être chez Universal. L'empreinte Intik sera-t-elle présente? On retrouvera certainement la couleur de l'école Intik, mais avec plus d'ouverture, de fusion, avec chaque chose à sa place. La musique, c'est comme une science. Rien ne vient au hasard, il faut se prendre la tête et chercher les bonnes notes...