Il avait été le précurseur de l'aventure algérienne dans la plus grande manifestation sportive au monde. Plus de 60 athlètes algériens vont défiler le 8 août, dans le stade olympique de Pékin, lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de la XXIXe Olympiade. Ce sera la plus imposante délégation jamais envoyée par ce pays pour prendre part à la plus grande manifestation sportive de la planète. Ce sera, aussi, la 10e fois que l'Algérie sera à ce rendez-vous quadriennal, celui de 1976, à Montréal ayant été boycotté par elle pour suivre tous les autres pays africains qui protestaient de la présence à ces Jeux des représentants du régime de l'apartheid de l'Afrique du Sud. 44 ans déjà! Qu'il semble loin ce jour où, pour la première fois, le drapeau de l'Algérie indépendante, avait défilé lors de la cérémonie d'ouverture de Jeux olympiques au milieu de ceux de toutes les autres nations de la planète! C'était le 10 octobre 1964, à Tokyo, capitale du Japon. «J'étais ému et impatient de défiler. Dans le tunnel du stade olympique, on m'encourageait. J'attendais comme un cheval qui piaffe que l'on donne le coup d'envoi du défilé des délégations». Ces mots sont de celui qui restera pour l'histoire comme le premier athlète de l'Algérie indépendante à participer à des Jeux olympiques. Mohamed Yamani, dit Lazhari (du prénom de son père). Un athlète, un seul pour représenter un pays. Un pays tout neuf qui venait de conquérir sa liberté deux ans auparavant après avoir passé 132 années sous le joug colonial. «A l'époque, on estimait que l'Algérie venait de réussir une prouesse pour prendre part à une compétition de la dimension des Jeux, deux années seulement après son indépendance. Les autorités politiques du pays avaient estimé qu'il fallait envoyer une délégation pour que le drapeau de notre pays, enfin indépendant, puisse flotter au milieu de ceux de toutes les autres nations souveraines.» On avait, donc, saisi le Comité olympique algérien, créé en 1963, pour organiser cette participation. Ce sont les deux chevilles ouvrières du COA, son président feu le Dr Mohand Maouche et son secrétaire général, M.Mustapha Larfaoui qui furent chargés de cette tâche. Des athlètes, il y en avait mais pas en très grand nombre. Il fallait, tout de même, opter pour une participation avec des sportifs de renom. Tout naturellement le choix s'est porté sur Mohamed Lazhari, qui était le champion de France en titre de gymnastique. «D'autres athlètes auraient mérité, à mon sens, d'aller, eux aussi à Tokyo. Je pense, essentiellement à Ali Brakchi qui faisait partie des meilleurs sauteurs en longueur du monde. Je n'ai jamais su pourquoi c'est moi, et seulement moi, qui avait été choisi.» Mohamed Lazhari cache mal sa modestie parce qu'à l'époque, des champions de France algériens, il n'y en avait pas à la pelle. Son mérite est d'avoir bataillé ferme pour se hisser à cette consécration, lui le natif d'Alger, dans le quartier de Notre-Dame d'Afrique où il avait vu le jour le 28 avril 1938. Arrivé par hasard à la gymnastique Presque malingre, son père désespérait de le voir prendre de la consistance physique. Comme son frère aîné pratiquait du sport, son père lui ordonna de prendre Mohamed avec lui pour qu'il puisse former son corps. «Je me rappelle, comme si c'était aujourd'hui, la première fois que j'ai mis les pieds dans une salle de sports. C'était celle de La Patriote, située sous le lycée Bugeaud (aujourd'hui lycée Emir Abdelkader). On y accédait en descendant un escalier et je me souviens que le premier agrès que j'avais vu était le cheval d'arçon.» C'est, donc, dans cette salle que le jeune Mohamed (il avait 12 ans) débuta sa carrière dans la gymnastique et très vite il développa des qualités que ses camarades n'avaient pas. «Pour ma première compétition, on m'avait inscrit dans un concours qui devait se dérouler au stade municipal (aujourd'hui stade Zioui) d'Hussein Dey. Pour le gosse de Notre Dame d'Afrique, c'était une expédition que d'aller jusqu'à Hussein Dey. J'y étais, quand même, allé par bus et par tramway et là je fut premier du concours général. Il y avait ce jour-là dans le stade, celui qui reste à mes yeux une idole, un exemple de gymnaste, Raymond Dott. Il faisait partie du club français de Puteaux et il m'avait remarqué. C'est lui qui avait été à la base de mon lancement en France.» Effectivement, plus le temps passait et plus le talent de Mohamed s'affirmait, jusqu'au jour où il s'est aperçu qu'il n'avait plus rien à apprendre en Algérie. Le club de Puteaux l'accueillit et sous ses couleurs, le gymnaste algérien devait remporter de très nombreux titres dont le plus important fut celui de champion de France en 1963. A cette époque-là, il était déjà algérien puisque son pays venait de recouvrer son indépendance une année plus tôt. «En 1962, j'étais athlète d'élite et je bénéficiais d'une bourse de préparation pour les Jeux de Tokyo. Je précise que j'avais pris part à ceux de Rome en 1960 avec la délégation française. Je résidais et m'entraînais à l'Institut des sports de Paris. Un jour, je vois le directeur de l'établissement, le Colonel Crespin venir vers moi pour me dire: ´´Mohamed, l'Algérie est indépendante depuis aujourd'hui. Il va falloir faire un choix. Où tu optes pour la France et là pas de problème, tu peux continuer à t'entraîner ici, où c'est l'Algérie que tu choisis et là, il faudra que tu quittes les lieux.´´ J'étais éberlué car je ne m'attendais pas à ce que l'on me propose cela. J'ai, cependant, repris mes esprits pour faire comprendre à mon interlocuteur que mon pays ne pouvait être que l'Algérie. ´´C'est bien, prends tes bagages et pars. Tu ne fais plus partie de l'Institut´´, m'a-t-il répondu. Il daigna, cependant, m'accorder un peu de temps juste pour que je puisse prendre des contacts.» Ces contacts l'amenèrent vers la représentation diplomatique algérienne à Paris «c'est là que j'avais rencontré deux hommes qui avait compris mon désarroi puisque je m'étais retrouvé sans rien, du jour au lendemain. Ce furent eux qui m'aidèrent tout en me demandant de continuer à m'entraîner.» Une précision de taille s'impose ici. Juste après l'Indépendance, Lazhari était «descendu» à Alger pour proposer ses services d'autant qu'il avait un diplôme d'entraîneur. «Le responsable du ministère de la Jeunesse et des Sports qui m'avait reçu s'était mis à me parler de patriotisme et de sacrifice qu'il fallait consentir. J'étais énormément déçu. «Moi je vous dis que je viens pour travailler et vous vous me parlez de patriotisme. Que vient faire le patriotisme dans le travail?. J'avais aussitôt tourné les talons et repris le bateau pour la France.» Les premiers contacts L'idée de l'envoyer aux Jeux olympiques vint du président de la Fédération de gymnastique le 30 mars 1964. Il en fit la proposition au Comité olympique algérien, lequel après avoir obtenu l'aval du sous-secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, donna son accord par une lettre le 10 juillet 1964 et signé par Mustapha Larfaoui. On accepta, alors, de le prendre en charge à l'INS de Paris pour s'y préparer. «Peu de temps après, Larfaoui était venu à Paris et m'avait apporté mon passeport que j'avais signé devant lui.» Ce fut, ensuite, le départ pour la capitale japonaise, en compagnie de Maouche et de Larfaoui. «A Tokyo, je fus accueilli comme une curiosité. Alors que je n'étais pas particulièrement connu, j'eus le privilège des stars. Toute la presse voulait avoir mes impressions. Tout le monde voulait savoir ce que je ressentais en venant représenter mon pays.» Comme unique athlète, il avait, malgré tout, souffert. «Dans le village olympique, j'étais seul à occuper le pavillon réservé à l'Algérie. Mes deux accompagnateurs n'avaient pas le droit d'être avec moi et habitaient en ville. J'étais, donc, comme perdu au milieu de toute cette foule. De plus, je n'avais aucun entraîneur ou un médecin à mes côtés. Il fallait que je me prenne seul en charge. Un jour, j'avais abandonné la compétition tellement j'étais déprimé. Je me souviens que c'était deux gymnastes soviétiques, deux grands champions, me voyant seul dans mon coin, qui étaient venus me demander de me ressaisir et de reprendre courage. C'est grâce à eux que j'ai pu terminer avec de bons résultats puisque je me souviens avoir été noté, 7,50 sur 10 aux barres parallèles, ce qui, à l'époque, correspondait à une excellente note.» Il reste que de tout son séjour, le meilleur souvenir qu'il en garde, c'est la cérémonie d'ouverture des Jeux. «Lorsque le défilé commença, l'Algérie devait être en 3e ou 4e position. J'étais dans le tunnel et là, on me demanda d'avancer. Au moment où je pénétrais sur le piste d'athlétisme, le speaker du stade annonça ´´Algeria´´ et là je vis une véritable marée humaine se lever comme un seul homme pour m'applaudir avec le drapeau de mon pays. L'Algérie jouissait d'une très grande estime auprès des gens après la conquête de son indépendance. Je frémissais et mes jambes tremblaient tellement l'émotion était forte. Je souhaite au plus grand nombre de gens de vivre un tel événement ou au moins les Jeux olympiques. C'est un souvenir impérissable.» Il est devenu un anonyme Cette aventure olympique, Mohamed Yamani, dit Lazhari l'avait vécue comme un authentique algérien, fier de son pays et de ses racines. Mais de retour au pays, il fut, plus confronté au mépris des gens qu'à la reconnaissance d'avoir été le premier ambassadeur du sport algérien dans des Jeux olympiques. «Je n'ai jamais demandé la lune. Juste un peu de compréhension. Je n'ai jamais rien gagné du sport algérien. Ce que j'ai, je l'ai obtenu seul. Je vis toujours dans mon petit deux-pièces que j'occupe depuis 1965. C'est dans ce petit appartement que mes deux enfants ont grandi auprès de leur père et de leur mère jusqu'à ce qu'ils se marient. On m'a brimé. On m'a fait de sales coups jusqu'à s'attaquer à ma femme, initiatrice de la gymnastique féminine algérienne. Un jour où elle avait demandé qu'on l'augmente de 100 dinars par mois, un individu, qui se prétendait responsable, lui avait répondu: ´´Estimez-vous heureuse d'être payée.´´ Même mon frère, pourtant champion incontesté de gymnastique est passé à la moulinette. Expert de la Fédération internationale, il fut rejeté par sa propre famille de la gymnastique algérienne. Dégoûté, il s'est complètement retiré du circuit.» Ainsi va le sport algérien actuel plein d'hypocrisie et qui en arrive à ignorer ceux qui lui ont permis d'écrire ses plus belles pages d'histoire. Mohamed Lazhari est de ceux là. Il en garde de l'amertume tout en disant que «si c'était à refaire, je le referais mais d'une autre manière car j'ai beaucoup appris au cours de mon existence, notamment l'adage selon lequel il faut, d'abord, compter sur soi.»