Professeur en médecine, ce politologue s'est trouvé des créneaux pour se consacrer à l'écriture politique. Il a bien voulu se confier à L'Expression à propos de Abane Ramdane, du Congrès de la Soummam et de son livre consacré à la mémoire de l'architecte du Congrès de la Soummam. L'Expression: Présentez-vous d'abord à nos lecteurs Abane Belaïd Je suis médecin de formation. Diplômé de la faculté d'Alger en 1975. Pour répondre à des besoins spécifiques en matière de médecine, j'ai été envoyé en France, dans le cadre de la santé publique, pour suivre une spécialité qui n'existait pas à l'époque dans notre pays. Il s'agit de la rééducation fonctionnelle en médecine physique. A la fin de mes études de spécialité, je suis revenu en Algérie. J'ai été nommé maître assistant à l'Institut médical d'Alger. Durant trois ans, j'ai ensuite soutenu une thèse d'agrégation en médecine (docent). J'ai occupé les fonctions de chef de service hospitalier à Ben Aknoun. Par la suite, j'ai été nommé professeur titulaire et chef de service au sein du même établissement. En tout, j'ai fait une carrière hospitalo-universitaire qui m'a amené vers le sommet de la carrière. En ma qualité de professeur, j'ai assuré la formation d'un bon nombre de promotions de spécialistes en médecine physique, et ce, durant une quinzaine d'années. Toujours dans le domaine de la médecine, en 1994, je suis parti de nouveau en France. J'étais rédacteur scientifique dans une grande association française, l'«Association française contre la myopathie». J'ai rédigé des monographies de médecine. En 1996, j'ai repris mes fonctions en tant que chef de service à l'hôpital de Ben Aknoun. J'ai continué à former les étudiants du premier cycle de médecine. Le destin tape de nouveau à la porte. J'ai donc dû quitter l'Algérie pour m'installer avec ma famille en France. Je suis actuellement médecin spécialiste dans un hôpital de l'assistance publique à Paris. Ma situation actuelle m'a laissé largement le temps de réfléchir à mes autres passions, en particulier l'écriture. Car, j'ai ma deuxième casquette, celle d'analyste politique, ou politologue. Cela, par le fait que j'ai suivi des études en sciences politiques. Je suis diplômé de l'université d'Alger. Je suis titulaire d'un Dess de la faculté de droit de Ben Aknoun. C'est cette double casquette qui m'a amené à réfléchir à la situation politique de notre pays et, donc, donné l'occasion d'écrire un livre sur Abane Ramdane. Comment expliquez-vous ce passage de la médecine à l'écriture politique? C'est un véritable déchirement. Je me disais qu'il fallait arriver à m'extraire complètement de la médecine. Pour moi, j'essaie de marquer une sorte de rupture avec la médecine. Au moment de l'écriture de mes livres, c'était un raz de marée émotionnel. Car, ce n'est pas une affaire aisée pour passer de la pratique médicale à l'écriture et surtout dans sa dimension politique, à travers le cas Abane Ramdane. Pourquoi Abane Ramdane? Cette question, je l'ai longuement évoquée dans l'avant-propos de mon livre. Le moment fort qui m'a incité à écrire ce livre remonte à 1989. C'étais juste après le déverrouillage du champ politique national. A cette époque, Abane Ramdane est revenu un peu sur la scène politique nationale. Ce qui n'a pas manqué, d'ailleurs, de susciter un certain nombre de réactions négatives que je dirai même malveillantes. J'avais rédigé un article pour Révolution africaine, à travers lequel je montrais l'horreur du complot qui a mené à l'assassinant de Abane par des procédés terriblement mafieux. Après la publication de l'article, quelqu'un, dont je ne dévoilerai pas le nom, m'a conseillé de ne pas rester en Algérie. Ce jour-là, l'idée m'est venue de consacrer un livre à Abane Ramdane. A partir de là, j'étais bien armé pour faire quelque chose pour ce grand architecte de la Révolution algérienne. Mes deux livres sur ce révolutionnaire sont une sorte de mise au point en quelque sorte. Quels souvenirs gardez-vous de Abane Ramdane? J'ai quelques souvenirs. Ils sont encore vivaces. Comme toute ma famille, j'étais marqué par sa personnalité. Il était très rigoureux. Il ne pouvait tolérer le moindre écart. Pour un témoignage personnel, j'y reviens dans mon 2e tome - qui est chez l'éditeur et sera disponible prochainement. A travers ce livre, j'ai fait une approche très poussée de sa personnalité. J'ai évoqué un certain nombre d'anecdotes concernant son caractère, notamment cette haine quasi mystique de l'injustice et de la force brutale. C'est une aversion pour tout ce qui est contraire à l'esprit de justice et de l'utilisation de la force. Parlez-nous un peu de «l'Algérie en guerre; Abane Ramdane et les fusils de la rébellion»? Ce livre traite de l'histoire politique de notre pays. J'ai pris, comme fil conducteur, Abane Ramdane. Cela a été indispensable, pour moi, de revenir à 1830. Car, beaucoup de gens ne connaissent l'histoire de l'Algérie qu'à partir de 1954. Les Français pensent ainsi. Or, nous, les Algériens, savons bien que cette date n'est qu'un dernier round qui a opposé le colonialisme français au peuple algérien. Réellement, il s'agit d'une longue guerre de résistance. D'ailleurs, un titre d'un chapitre est intitulé de Sidi Fredj à Ifri. Justement en parlant d'Ifri, c'est après-demain (l'entretien a été réalisé lundi), que l'Algérie commémore le Congrès de la Soummam. Abane était l'un des architectes de ce Congrès. Comment avez-vous abordé ce chapitre dans votre livre? On ne peut pas parler du Congrès de la Soummam sans évoquer Abane Ramdane et vice versa. Il en a été l'inspirateur, l'artisan, l'architecte et l'animateur avisé, et ce, même si certains le contestent. Il faut savoir que trois mois avant l'insurrection, beaucoup de responsables sont morts tandis que certains d'autres ont rejoint la Délégation de l'extérieur. Donc, Abane arrive et trouve une insurrection pratiquement à bout de souffle. Si on a lu le livre de Omar Hemdani consacré à Krim Belkacem, on comprend tout de suite que ce dernier était conscient de la situation de blocage que connaissait la Révolution. Krim a rendu compte à Abane d'un état des lieux catastrophique. C'est à ce moment-là que celui-ci s'est investi dans cette mission: redonner un second souffle à la Révolution. Il a pris en main la Révolution algérienne. La stratégie se résume en quelques mots: il s'agit d'unir les forces nationales, les organiser et transformer la rébellion du 1er Novembre en Guerre nationale. Cela ne suffisait pas. Il fallait donner une réalité institutionnelle à cette rébellion. Le Congrès de la Soummam a réussi à donner une réalité institutionnelle à l'insurrection. En quelques mots, le Congrès a donné à la Révolution une boussole et un pavillon. C'est-à-dire, il a montré la direction à prendre... Comment évaluez-vous l'apport du Congrès de la Soummam à l'Algérie de 2008? De ce point de vue, le Congrès de la Soummam et Abane ont essayé d'instaurer et de faire enraciner un certain nombre de valeurs. A titre d'exemple, la citoyenneté avait la primauté sur tout autre considération, religieuse et identitaire. Il envisageait l'implication de l'Algérie dans la modernité universelle. Tout le Congrès était orienté vers l'universel. De même que «la primauté du politique sur le militaire». Ce point n'est pas totalement appliqué en Algérie, à l'heure actuelle. Maintenant pour l'esprit de la Soummam, je dirai qu'il existe dans les institutions de l'administration algérienne. L'esprit est présent, mais il ne fait pas l'unanimité. Aujourd'hui, il n'y a plus consensus. Le pays se cherche encore sur ce volet.