Sa plus célèbre planche : «Le rêve de la raison produit des monstres » une légende à méditer. Dans le cadre du 3e Festival culturel européen qui se tient ce mois, l'ambassade d'Espagne à Alger organise, au sein de son institution culturelle El Instituto Cervantes sis 9, rue Khelifa-Boukhalfa, une exposition intitulée «Les caprices de Goya». L'exposition réunit 80 estampes réalisées en eaux fortes et aquatintes (technique qui permet d'obtenir des plans dans différents tons de gris) que le peintre espagnol Francisco de Goya a réalisées. C'est l'édition de 1929, entreprise pour l'exposition universelle de Séville qui est présentée au public du 14 au 28 mai. Chaque estampe et gravure sont soulignées d'une légende, laquelle explique ou permet de comprendre le fond philosophique et énigmatique de l'oeuvre. Une légende qui possède en elle, la force moralisante de la dénonciation de la stupidité humaine et les injustices sociales qui régnaient à l'époque. L'artiste, à travers ces estampes, a eu le génie de mettre au «figuratif» l'expression de la rhétorique ou le sens abstrait des choses, qui est à nu devant notre regard bousculé, bouleversé. Les lois ont été faites seulement pour les pauvres, a-t-il dit, des hommes qu'«on déplume» sont en effet représentés comme tels, pour dénoncer cette injustice, celle de l'avilissement des pauvres gens, démunis de tout... «Des médecins brutes et ignorants» «sont pour Goya des bourricots». Et c'est effectivement cet aspect animal (âne) que Goya lui attribue. Satiriques, grotesques, étranges, déroutantes, telles sont les oeuvres de ce peintre qui donna à l'homme une figure démoniaque, monstrueuse qui ressemble aux gargouilles. Des images qui dévoilent ainsi ses critiques acerbes et moqueuses envers les aristocrates, le peuple ignorant et l'Eglise. Elles fustigent la bêtise humaine, la bête immonde qui est enfouie en nous et la dévoile dans toute sa laideur et sa bassesse. Trois thèmes partagent en fait ce travail d'exorcisme, la satire sociale, la sorcellerie comme inspiration démoniaque et barbare et les méfaits du libertinage. La plus célèbre planche de la série des caprices: Le rêve de la raison enfante des monstres. Ici, c'est toute la vérité criante de cette phrase qui nous interpelle car toujours d'actualité a fortiori chez nous, hélas! Une légende qui entend par là, que «quand les hommes n'entendent pas les cris de la raison, tout devient hallucination». Aussi, effondré au milieu de son travail pour dormir, l'artiste à la tête enfouie dans ses bras pliés sur la table où l'on distingue des fusains et des ébauches. Les oiseaux de nuit (des chouettes ou chauves-souris) meublent l'arrière-plan plongé dans les ténèbres et s'approchent de lui... Une chouette s'empare d'un crayon. Une situation cauchemardesque à la fois réaliste et irréelle. On voit le dormeur, mais ainsi ce qu'il projette dans son rêve: dès que l'artiste sombre dans le sommeil, c'est la déraison qui règne. Les créatures hideuses et terrifiantes veulent étendre leur mal... deux forces sont à deviner dans l'oeuvre. La raison pure et l'imagination la plus débridée. C'est de la raison que jaillit la lumière, à défaut, l'on est plongé dans les ténèbres. C'est en contact de ses amis, que Goya a trouvé l'inspiration. L'idée est ici toute faite et le thème central de la gravure est la suivante: c'est par la raison que l'on peut dénoncer les injustices sociales, mettre un terme à la superstition et dépasser les passions nihilistes. En dessinant des visages difformes, grotesques, Goya a fait appel à la caricature pour montrer ce qu'il y a de mauvais en l'humain, l'infidélité en amour, des moines et des nobles sans vergogne qui sombrent dans la débauche et la luxure... C'est à la fin de sa vie que Goya sourd et isolé, pratiqua cet art sombre et visionnaire qui présente un univers d'angoisse et de cauchemar. Flirtant entre l'impressionnisme et l'expressionnisme, les tableaux de Goya sont en tout cas très forts en sémiologie. Le côté fantastique qui s'en dégage incite profondément à la réflexion. L'immonde et l'irrationnel est en nous, conclut, en réalité, l'artiste.