Les défis que le nouveau président va devoir relever semblent monumentaux. Asif Ali Zardari, nouveau président du Pakistan au profil très controversé, a prêté serment hier au moment où la violence des islamistes s'intensifie et sous la pression des Etats-Unis qui multiplient les attaques meurtrières visant Al Qaîda et les talibans dans le nord-ouest. Le veuf de Benazir Bhutto, assassinée fin décembre, est ainsi devenu, pour cinq ans, le 14e président de cette République islamique seule puissance militaire nucléaire du monde musulman. Il succède à l'ancien général Pervez Musharraf, poussé à la démission il y a trois semaines par la nouvelle coalition issue des législatives du 18 février. M.Zardari, 53 ans, chef du principal pilier de cette coalition, le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) dirigé par Mme Bhutto jusqu'à son assassinat fin 2007, avait, sans surprise, recueilli samedi plus de 70% des suffrages du Parlement et des quatre assemblées provinciales. Ce personnage est très controversé et relativement impopulaire dans son pays, où il est souvent désigné par le sobriquet de «M. 10%» et demeure le symbole de la corruption sous les gouvernements de son épouse dans les années 1990, même si la justice a récemment abandonné opportunément toute poursuite. Mais les défis qu'il va devoir relever semblent monumentaux. M.Zardari se hisse au sommet du pouvoir dans un pays en plein chaos économique, politique et militaire: les combats font rage entre l'armée et les islamistes proches d'Al-Qaîda dans les zones tribales du nord-ouest et ces derniers répliquent en intensifiant chaque jour une campagne sans précédent d'attentats suicide, qui ont déjà fait près de 1200 morts en un an et deux mois. Pire, Washington, dont le Pakistan est, depuis septembre 2001, un allié-clé dans sa «guerre contre le terrorisme», manifeste de plus en plus son impatience face à Islamabad, accusé de faiblesse dans les zones tribales frontalières avec l'Afghanistan, où les Américains sont convaincus qu'Al Qaîda concentre ses principales forces et les talibans afghans leurs bases arrières. Alors les Etats-Unis, principal bailleur de fonds du Pakistan, ont multiplié, ces derniers mois, les tirs de missiles dans les zones tribales, ciblant Al Qaîda sans épargner de nombreux civils. M.Zardari risque ainsi d'être pris entre le marteau et l'enclume. D'une part, la nécessité de satisfaire les exigences de Washington sous peine de précipiter son pays vers une banqueroute que prédisent les économistes si des aides financières n'arrivent pas rapidement. Le président américain George W.Bush a demandé lundi au Pakistan de veiller à ne pas devenir «le refuge du terrorisme». D'autre part, la montée rapide de l'anti-américanisme au sein des 168 millions de Pakistanais excédés par les attaques américaines et le lourd tribut payé à la «guerre contre le terrorisme» à chaque attentat suicide. Oussama Ben Laden a décrété le jihad au Pakistan en septembre 2007, accusant Pervez Musharraf d'être le «chien de Bush». Mais M.Zardari est déjà largement perçu par les islamistes et une partie de l'opinion comme le nouveau «pion» de Washington. Il risque en outre d'être rapidement mis en difficulté sur le plan politique: sa coalition est extrêmement fragile et le gouvernement est à la merci de petits partis aux intérêts très divergents, des laïcs aux fondamentalistes musulmans en passant par des nationalistes régionaux. Une partie d'entre eux attendent une position ferme face aux Etats-Unis, qui ont lancé depuis l'Afghanistan, il y a une semaine, leur première attaque au sol connue dans les zones tribales, tuant, selon Islamabad, au moins 15 civils. Depuis, les tirs de missiles par des drones américains sont devenus quotidiens. Les derniers en date, lundi, ont tué au moins 21 personnes, dont 14 islamistes mais aussi 7 civils, des femmes et des enfants, selon les autorités.