Devant les transformations accélérées que connaît notre société, un artiste ne peut être que rattrapé par la muse de la nostalgie. C'est ainsi que Karim Khelfaoui, un chanteur talentueux de la région des Ath Ouaguenoun, revient cette semaine avec un album où, chaque note, chaque mot et chaque soupir sont le reflet des regrets du temps passé. Karim Khelfaoui qui chante depuis son adolescence est d'une humilité frappante. C'est à peine s'il ose parler de ce qu'il fait dans le domaine de l'art. Devant un journaliste, il se confond en excuses car, dit-il, il n'est pas un adepte de la médiatisation à tout bout de champ. Pourtant, le public de cet artiste de Aït Aïssa Mimoun se compte par milliers. Quand il anime des fêtes, ils sont nombreux à faire le déplacement, parfois à pied, pour ne pas le rater. Mais Karim Khelfaoui, au fait de cette admiration, reste égal à lui-même. Un villageois timide et respectueux qui répond quand même aux questions qu'on lui pose. Mais tout en se demandant, à chaque fois, s'il serait nécessaire de parler de ceci ou de cela. Surtout quand il s'agit, par exemple de parler des chansons autobiographiques d'amour. Un thème, certes qui n'est plus un tabou, mais qui reste toutefois difficile à assumer quand on a été élevé dans la pure tradition de «tazqa» kabyle. Tazqa, ce lieu mythique est le centre du nouvel album de Karim Khelfaoui qui sort cette semaine chez les disquaires. La cassette est composée de six chansons d'une durée totale de 50 minutes. Enregistré aux studios La Rose de Bouzid Ouhamou, l'album a tout l'air de satisfaire l'artiste. La chanson phare de l'album, intitulée Tazqa n'lejdud est un hommage aux traditions kabyles et au mode de vie des Kabyles d'antan, certes dur, très dur mais digne. Un peu, comme pour comparer la Kabylie d'hier, qui n'est pas si lointaine, à celle d'aujourd'hui, Karim Khelfaoui propose une deuxième chanson. Celle-ci peut être considérée comme étant le prolongement de la première puisqu'il y est question de dénoncer le monde matérialiste et sans valeurs dans lequel nous nous débattons actuellement. L'amour demeure un thème inamovible puisque Karim Khelfaoui y revient après un silence de trois années, son dernier album étant sorti en 2006. Dans la chanson Ashissef, Karim Khelfaloui accable la femme aimée, inoubliée malgré les rides. Ici, Karim Khelfaoui ne fait pas exception à la règle puisqu'il se lave les mains de l'échec de cette idylle qui a fait long feu. Le premier album de Karim Khelfaoui a été édité en 1993, cela fait seize ans déjà. Il avait 24 ans et il chantait Malen tizerqaqin. Depuis, il propose régulièrement à ses fans des nouveautés mais pas chaque année. Au total, il compte huit albums. Avec son ami Salah qui est en quelque sorte son conseiller artistique, il préfère produire de belles choses même si cette méthode lui prend plus de temps et d'efforts. Son ami Salah est également l'auteur de plusieurs de ses poèmes chantés. «Nous travaillons ensemble dans une harmonie parfaite. Nous ressentons mutuellement ce que l'autre éprouve», affirme Karim Khelfaloui. Son ami d'enfance Salah, même s'il ne joue pas de la guitare, est doté de l'oreille musicale. «Quand un morceau musical est lourd, il me fait la remarque car il a l'âme d'un artiste», ajoute Karim Khelfaoui avec simplicité. Karim Khelfaoui passe allègrement du mandole au luth. Les choix de l'instrument à utiliser sont dictés par les exigences de chaque chanson. Interrogé sur celle qu'il considère comme sa meilleure chanson, il répond qu'il s'agit de Taftilt, composée avec Salah un certain 26 août 1993, où à l'instar de la majorité de Kabyles, il perdit son premier amour. Mais Karim Khelfaoui, loin de pleurnicher, est fier de nous révéler qu'il a aimé et avec plus de fougue après cette mésaventure sentimentale. Comme quoi, le premier amour n'est pas forcément le dernier. Même si c'est difficile à croire.