Directeur du Laboratoire de valorisation des énergies fossiles à l'Ecole Polytechnique à Alger, le professeur Chitour organise chaque année des Journées de l'énergie en vue de la valorisation de cette matière non renouvelable mais également pour faire toucher du doigt la problématique de l'enjeu énergétique devenu la principale préoccupation des responsables internationaux face à la raréfaction d'une matière qui a impulsé le développement dans le monde lors du siècle dernier. Aussi, la question qui hante aujourd'hui les décideurs mondiaux est celle de trouver des solutions de substitution à un matériau qui a beaucoup aidé au décollage économique de nombreux pays dans le monde et stimulé l'industrialisation. L'Expression: L'Algérie envisage de porter sa production de pétrole à 2 millions de barils par jour d'ici l'horizon 2012. Pensez-vous que cet objectif sera atteint avec les successives réductions décidées par l'Opep et une conjoncture mondiale extrêmement difficile? Pr Chems Eddine Chitour: Techniquement, l'Algérie peut rapidement atteindre ce chiffre. Cependant la question qui se pose est: pour quoi faire? Veut-on hâter la fin du pétrole en pompant d'une façon inconsidérée pour tarir les réserves prouvées de pétrole et qui remontent d'après BP (British Petroleum) à 15 milliards de barils, soit à une cadence de 2 millions de barils, en 2032 nous serons à sec. Ne veut-on rien laisser pour les générations futures? Pourquoi enfin vendre le pétrole à moins de 50 dollars alors que le baril est appelé dans les années qui viennent à devenir de plus en plus rare, donc de plus en plus cher. Enfin, nos réserves de change ne justifient pas ce pompage frénétique; nous n'avons pas besoin de financement d'autant que nos réserves sont placées dans des banques américaines et leur pouvoir d'achat se détériore inexorablement. Notre meilleure banque c'est encore notre sous-sol. Le pétrole, principale ressource de l'économie nationale, bénéficiera-t-il aux générations futures? Le problème reste entier à ce rythme d'exploitation, il est possible d'ailleurs que l'on ait atteint le peak oil, car les découvertes faites annuellement sont inférieures de près de 40% à la production. Cela voudrait dire que nous entamons nos réserves, d'autant que la déplétion sur d'anciens champs est de plus en plus importante Les énergies renouvelables dont vous maîtrisez les mécanismes sont-elles objectivement une alternative incontournable pour l'Algérie? Beaucoup de compétences algériennes maîtrisent mieux que moi ce domaine. Personnellement, je me place sur le côté stratégique. Il nous faut un modèle énergétique dans lequel les énergies renouvelables seront le maillon fort, mais pas seulement car il nous faut d'abord dresser un état des lieux et faire un constat sans complaisance de nos réussites et échecs de nos ressources énergétiques réelles. Dans un deuxième temps, il nous faut faire des hypothèses de consommation, de démographie pour prévoir la demande à différents horizons (2030, 2050). Il nous faudra ensuite faire le point de nos ressources mobilisables dans le cadre du développement durable en faisant des hypothèses réalistes de pénétration graduelle des énergies renouvelables. Tout ceci devrait déboucher sur un Plan Marshall de l'énergie plurisectorielle et une feuille de route qui engage tout le monde, de l'écolier à l'universitaire, et aux citoyens en général. Interviendrait alors la nécessité d'intégrer tout ce que nous pouvons faire par nous-mêmes pour créer de la richesse en créant de l'emploi. A titre d'exemple, 1 million de chauffe-eau solaires pourrait permettre de gagner l'équivalent de 500.000 tonnes de pétrole, soit 1,5 milliard de dollars. Il nous faut par un plan rigoureux, par l'aide des médias lourds et par la participation de tous contribuer à former l'éco-citoyen de demain, convaincu qu'il peut consommer mieux en consommant moins et en évitant par ses éco-gestes tout ce qui est inutile en préférant par exemple des fruits locaux et de saison à l'achat de raisins d'Argentine qui ont fait des milliers de km pour atterrir sur notre table, polluant d'une façon inconsidérée la planète. Il y a une certaine désorganisation dans le secteur énergétique dès lors qu'il n'existe pas de véritables consultations entre les pays regroupés dans l'Opep et les «non-Opep». Les fluctuations des prix ces derniers mois le montrent amplement. Comment expliquez-vous cette absence de coordination entre des producteurs censés poursuivre les mêmes objectifs? L'Opep de papa- celle de Belaïd Abdesslam et de Zaki Yamani, leaders charismatiques qui portaient haut et fort une certaine idée de l'indépendance économique - est morte. Nous avons une organisation qui vit au jour le jour sans vision d'ensemble, tiraillée entre les roitelets du Golfe soucieux de ne pas irriter le monde industrialisé et les autres. Avec l'adhésion de l'Arabie Saoudite au G20, plus que jamais l'Opep obéira aux intérêts des pays industrialisés et fera ce qu'on lui dira de faire. La Russie et le Brésil l'ont bien compris en refusant les appels pressants de l'Opep et en ne voulant pas être dans le même panier qu'une organisation de rentiers qui exploite d'une façon paresseuse une manne imméritée. Pour rester dans les prix du pétrole, pensez-vous que ces perturbations tarifaires sont conjoncturelles ou vont-elles perdurer dans le temps et pourquoi? Les cours du pétrole vont inexorablement augmenter. Il est souhaitable de n'extraire que la quantité strictement nécessaire à nos besoins. Cette détermination des besoins graduelle ne sera perceptible que dans le cadre d'une stratégie énergétique devant déboucher sur un «bouquet énergétique» comprenant les différentes énergies. Quel bilan faites-vous de ces «Journées de l'énergie» que vous organisez annuellement et qui sont devenues un «événement-culte» pour les initiés? C'est une tradition du Laboratoire de valorisation des énergies fossiles d'organiser depuis vingt ans ces Journées sur l'énergie à l'occasion de la symbolique de «Youm el ‘Ilm» autour du 16 avril. Outre le fait que chaque année un thème est traité, les élèves ingénieurs de 4e année de l'Ecole polytechnique communiquent leurs travaux à un large auditoire. L'Ecole - institution de près d'un siècle et que l'on veut curieusement démolir- apporte ainsi sa contribution à la vie de la nation en s'emparant de problèmes réels. Dans toutes ces manifestations, nous avons été accompagnés par M. le Ministre de l'Energie et des Mines lequel nous a toujours soutenus. Il a participé plusieurs fois à ces Journées: la dernière fois en 2007 en présence de M. le Ministre de l'Enseignement supérieur. Cela reflète l'attachement de ces personnalités de par leur passé d'universitaire à une formation de qualité des futurs savants de ce pays.