A l'université du Caire, le président américain a produit un discours équilibré. Les musulmans avaient besoin d'entendre que «nul n'a le monopole de l'attachement à la liberté». 1,5 milliard de musulmans du monde entier, répartis dans plus de cinquante pays, y compris près de 10% de citoyens occidentaux de confession musulmane, dans leur immense majorité apprécient le courageux et historique discours de rupture du président américain Barack Obama qui, au Caire, a dit qu'il était venu «chercher un nouveau départ entre les musulmans et les Etats-Unis». C'est sans l'ombre d'un doute, un tournant, un discours fondateur pour la relance de la relation entre le monde musulman et l'Occident, confrontés à des défis communs. Révoltés par la politique du deux poids, deux mesures et le fait qu'ils se sont sentis visés comme nouvel ennemi après la chute du mur de Berlin en 1989, et plus encore après le 11 septembre 2001, c'est ce que les musulmans voulaient entendre. Dans ce sens, son discours est bien reçu et aura un impact sur les opinions arabes, qui savent que sans démocratie internationale, ils ne pourront pas progresser en matière de changement interne. Le discours équilibré d'Obama a touché les musulmans pour plusieurs raisons: premièrement, il a cité le Coran, référence fondatrice des musulmans, notamment au sujet de la nécessité de vivre en conformité au droit et au vrai. Deuxièmement, il a clairement affirmé que «le cycle de méfiance et de discorde doit s'achever», en promettant de combattre les «stéréotypes négatifs sur l'Islam». Tout en précisant que les musulmans aussi doivent revoir leur perception de l'Amérique. Il a rappelé que «tant que nos relations seront définies par nos différences, nous donnerons du pouvoir à ceux qui sèment la haine plutôt que la paix». Les musulmans avaient besoin d'entendre que nul n'a le monopole de l'attachement à la liberté. Troisièmement, il n'a pas omis d'affirmer avec force son engagement politique pour la paix juste, que la colonisation israélienne en Palestine doit cesser et qu'il n'y a pas d'avenir pour tous sans deux Etats côte à côte. C'est sur ce point décisif qu'il sera jugé par l'histoire et les musulmans. Trois points difficiles. Le premier, celui du programme nucléaire iranien controversé, le président américain a affirmé que la confrontation avec Téhéran était «à un tournant décisif», tout en invitant l'Iran à «surmonter des décennies de méfiance», reconnaissant la responsabilité américaine. Sa démarche diplomatique est bonne: «Nous sommes désireux d'aller de l'avant sans conditions préalables et sur la base d'un respect mutuel», mais les musulmans considèrent que l'énergie nucléaire est un droit et souhaitent que toute la région soit exempte d'armes de destruction massive, c'est-à-dire y compris en Israël le seul pays de la région qui en dispose. Le deuxième point faible concerne le fait qu'il n'a pas distingué entre les causes et les effets de la violence. On ne peut pas mettre au même niveau, l'oppressé et l'oppresseur, le colonisé et le colonisateur. Troisièmement, il n'a fixé aucun agenda, ni annoncé une décision précise pour concrétiser ses engagements. Mais ce qui compte dans ce discours historique concerne la reconnaissance de la dignité égale des peuples, des religions et des civilisations. Reconnaissance marquée par la volonté de corriger les dérives du passé récent. Ainsi, pour que «l'Amérique et l'Islam ne s'excluent pas, et n'ont pas besoin d'être en concurrence», le monde entier avait besoin d'un tel discours d'ouverture et de sagesse. Ovationné par le public, Barack Obama vient de remporter une bataille décisive, celle de la promesse claire. Il restera à gagner la guerre des actes en appliquant concrètement et équitablement la justice et le droit. Après tant de drames, le monde est traversé par un nouveau souffle d'espérance. Souffle qui a été précédé par d'autres voix comme celle de tous les initiateurs pour une parole commune et artisans du rapprochement, qui ne désespèrent pas de bâtir un monde du vivre-ensemble, et aussi par la position du pape Benoît XVI qui a aussi reconnu, lors de son voyage en Palestine, que la paix et la justice sont indissociables et que les murs de séparation sont une tragédie. Combattre «l'extrémisme violent sous toutes ses formes» comme vient de le proclamer Barack Obama, le président de la plus grande puissance, est un légitime mot d'ordre qui se concrétisera avec le tarissement des causes. C'est en s'attaquant aux causes qu'un nouvel ordre mondial juste peut s'édifier. Les conditions du changement sont réunies, si tous savent saisir l'opportunité. Les musulmans ne doivent pas oublier ce qui reste à faire pour que le monde arabo-musulman ne prête pas le flanc et tienne sa vraie et digne place dans le monde. C'est-à-dire pour que la simplification ne le réduise pas au statut de simple victime. Même si certains ont voulu s'inventer un nouvel ennemi pour faire diversion, il n'est pas exact que tout l'Occident assimile «musulman» et «fanatique». Barack Obama vient de le démontrer par son discours équilibré. (*) Président du forum des intellectuels algériens