L'Algérie coloniale, ce «paradis perdu»pour les pieds-noirs fut aussi, un enfer pour les Algériens. Cette année, ils étaient 10.000 à s'être de nouveau réunis à Cagnes (France) pour commémorer les 40 ans de ce qu'ils appellent «l'exode». Ils, ce sont les pieds-noirs, ces Européens qui ont quitté l'Algérie en juillet 1962 avec armes et bagages. Ce n'est pas d'ailleurs leur premier rendez-vous. Ils se sont déjà rassemblés pour célébrer, selon eux, la perte de leur prétendu «pays perdu». Cela va de soi, ce quarantième anniversaire de l'indépendance algérienne est l'occasion de toutes les nostalgies, mais aussi de toutes les mystifications. Si en Algérie on célèbre à coup de grandes festivités les quatre décennies de liberté et de recouvrement de l'indépendance, mais avec une certaine retenue quand même, outre-Méditerranée, en France, le ton est au regret et au souvenir de ce que ces pieds-noirs appellent leur «paradis perdu». Comme quoi, quarante ans après, cette frange de la population européenne, qui vivait en Algérie dans une prospérité acquise par la force, ne veut pas tourner la page de l'Histoire. Produit d'une colonisation de peuplement violente, raciste, et humiliante pour les indigènes, ces pieds-noirs régnaient, il est vrai, dans une opulence toute entretenue, bien gardée et surtout avaient tous les droits. A côté, la masse des «Français musulmans» était dépourvue de tout, parfois, même du minimum vital. Résultat: en 1954, un 1er Novembre, la réalité des injustices de ce «paradis» pour les uns, et un véritable enfer pour les autres, était rattrapée par l'Histoire. Les chiffres de la quotidienneté de cette époque émanant de surcroît, de sources françaises sont significatifs. Ainsi, la mortalité infantile était de 46 pour mille chez les Européens et de 181 pour mille chez les musulmans. Tous les enfants d'Européens sont scolarisés dans le primaire, mais seul un petit Arabe sur 5 va à l'école pour profiter de la «civilisation» française. Le salaire journalier moyen dans l'agriculture était de 1.000 francs pour l'Européen et seulement 380 pour l'indigène. Quant aux droits politiques, faut-il rappeler que la politique des deux collèges et le trucage de presque toutes les élections organisées pour donner un tant soit peu de démocratie à la colonie, n'ont fait que précipiter la frange consciente de l'élite politique algérienne vers la radicalisation et la revendication de l'indépendance totale de la Métropole? Bref, les pieds-noirs ne voulaient rien partager avec les autochtones: ni pouvoir politique ni richesses du territoire. Pis encore, lorsque les Algériens ont osé réclamer leurs droits à travers la revendication de l'autodétermination et l'indépendance, la répression a été impitoyable, totale et systématique. Les méfaits du corps expéditionnaire français en Algérie, pour mater ce qui était qualifié comme une rébellion, et par la suite, les crimes de l'OAS appliquant la fameuse politique de la terre brûlée, sont encore dans les mémoires pour rappeler les caractéristiques de l'enfer colonial pour les Algériens.