«Aujourd'hui, il y a l'argent et il y a tout mais nous sommes malheureux», explique le poète. C'est un poète extrêmement sensible qui a rendu visite à notre bureau de Tizi Ouzou. Un homme de 51 ans qui a enduré certes dans sa vie mais qui n'a aucunement cédé à la fatalité. Car les deux mots, souffrir et se battre, sont indissociables dans la vie. L'un ne va pas sans l'autre. La douleur n'a pas barré la route devant Rabah Mehaddi qui va encore plus loin puisque des décennies plus tard, il va même jusqu'à dire regretter les années de douleur car, argue-t-il, à l'époque, il y avait de la douleur et de la pauvreté, mais il y avait le bonheur. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, explique-t-il. Car l'omnipotence de l'argent et de tout ce qui est matériel a vidé l'existence de sa substance. Aujourd'hui, il y a l'argent et il y a tout, mais nous sommes malheureux, ajoute notre interlocuteur en feuilletant son recueil de poèmes paru aux Editions Le Savoir. L'humilité de Rabah Mehaddi est l'un des fruits que l'homme peut récolter dans l'école difficile de la vie. En parlant de ses poèmes, on a l'impression qu'il s'agit d'un murmure car notre interlocuteur ne veut sans doute pas donner l'impression de s'encenser. Il parle de ses poèmes à la presse pour la même raison qui l'a poussé à les écrire. Juste pour s'exorciser. Non pas pour oublier la souffrance de l'enfance et de l'adolescence, car elles sont inoubliables, mais pour pouvoir, même pas l'affronter, juste l'accepter. Car une fois qu'on s'est accepté tel qu'on est, le chemin à parcourir reste facile. Dans les années soixante-dix, Rabah Mehaddi a été marqué par la poésie arabe. A l'époque, il était au lycée d'Azazga. Adolescent, il découvre les métaphores et les rimes de Ahmed Chawki, Imrou El Kaïs, El Moutanabi, Ilia Abou Madi, Antar Ibn Chadad...Il commence alors à écrire, lui aussi des poèmes en arabe, particulièrement à une période où il est tombé gravement malade. Des années de souffrance qui lui ont permis de devenir poète. Puis, petit à petit, ce poète modeste décide, ou bien le fait de savoir comment, revenir à sa langue maternelle et écrire en kabyle. Les textes s'accumulent. Les thèmes sont variés. Il écrit sur tout ce qui l'a touché de près ou de loin. Il écrit sur les stigmates indélébiles du passé. Il dit dans ses poèmes que la douleur existe, mais il y a aussi en face d'elle la force de caractère et le courage pour l'affronter. La souffrance est même indispensable pour comprendre la vie et pour pouvoir aller au plus profond de soi-même. C'est ainsi que Rabah Mahaddi a réussi à s'accepter. Dans le premier poème de son livre, disponible en librairie, le poète s'adresse directement au poète pour le conjurer de lui prêter main forte afin de pouvoir affronter ses douleurs. Il nous dit qu'il est impossible de devenir poète sans avoir souffert. Pour lui, la souffrance est le meilleur éducateur. La poésie est une thérapie. Dans le poème de la page 23, il revient longuement sur les moments difficiles qu'il a traversés. Rabah Mehaddi ne fait pas qu'écrire des poèmes. Il en traduit de l'arabe vers le kabyle. Un poème de Nizar Kabbani, qu'il a traduit, a été primé lors d'un concours de poésie à Béjaïa. Actuellement, il est en train de traduire d'autres textes du même poète afin de les publier en recueil.