Ils ont l'âge de la guerre. Ce qui veut exactement dire que ce ne sont que des enfants. L'été leur sourit. Pas leur pays. Les 261 filles et garçons du camp de vacances du CEM El-Ghernati de Aïn Benian, à l'ouest d'Alger, respirent le bonheur et l'inspirent. Depuis le 12 juillet et ce, jusqu'au 26, ce camp de vacances des oeuvres sociales du secteur de l'éducation offre le maximum en terme de prise en charge: l'attention. Les enfants viennent principalement de Aïn Defla et de Ouargla et ils ont entre 6 et 12 ans. Vingt-cinq animateurs, entre hommes et femmes de toutes les régions du pays, assurent la bonne ambiance. Gobi Amrane, animateur de colonies de vacances depuis 1985 et enfant de Oued Souf, est un véritable phénomène. Les bambins l'adorent. Et il le leur rend bien. Plus rigolo que lui...tu meurs! Le chef du centre veille à tout. Les plus petits détails comptent. «Il se met dans tous ses états quand il s'agit des enfants... Il en devient malade», confie son épouse. En cette après-midi, c'est le jeu de l'oie qui anime la cour du CEM. Amrane mène la danse. Les enfants cherchent les questions. Les résultats sont prononcés au milieu des cris de joie et de youyous. C'est l'équipe des filles qui gagne. Le programme de la journée se décline comme suit: réveil très tôt, petit déjeuner, baignade, sieste, goûter, jeux ou autres activités culturelles, repos puis dîner et la journée se termine par une soirée d'animation. Ce soir, les animateurs ont concocté des sketchs. Improvisations, défilés de mode avec moniteurs en tenue féminines très moulantes. Ça rigole de bon coeur. «Ce programme sur quinze jours est conçu de manière à habituer les enfants au rythme de la vie de camp», explique le chargé de la pédagogie qui traîne derrière lui 30 ans d'expérience. «On organise même en soirée les anniversaires des enfants nés entre le 12 et le 26 juillet», ajoute-t-il. Un enfant pleure. «Ses parents lui manquent» commente Da Mokrane, l'un des assistants du directeur du camp. «C'est normal, mais il s'habituera petit à petit», poursuit-il. Oussama de Ouargla et Yacoub de Touggourt sont un peu timides. Leurs copains de Djendel, d'El-Attaf et de Aïn Defla sont plus volubiles. En attendant le dîner, ça discute. «A Djendel tout ce que tu peux trouver ce sont les vulcanisateurs et quelques magasins et on n'a pas d'activités culturelles à l'école, c'est ennuyeux», constate un petit. «Moi je n'ai pas peur, j'habite à côté de la brigade de gendarmerie», lance Mohamed de Sidi Lakhdar de Aïn Defla. «Nous, à Touggourt, on a des dattes, des grenades et tout ce que tu veux», finit par dire Yacoub. Quant à la question classique: «Que veux-tu faire quand tu seras grand?», les réponses vont dans tous les sens. Abderraouf d'El-Khemis qui veut être pompier, ne comprend pas son copain qui veut être enseignant: «et te contenter d'un salaire d'un million et demi?!». Mohamed se voit journaliste et Adel d'El-Khemis convoite la carrière de simple soldat. «Etre général n'est pas une bonne affaire avec toutes les responsabilités et les problèmes», argumente-t-il. Kacem de Djendel voit loin: «Je veux devenir Youri Gagarine!». Mohamed de Sidi Lakhdar rêve du poste de commandant des forces navales et son voisin vise la chirurgie. Les filles sont moins chahutantes. «On est bien ici et on adore notre monitrice», dit cette petite brune aux yeux déjà envahis par le sommeil. Dîner dans le hall de la cantine. Au menu, soupe de poissons, salade, haricots verts et frites, du melon et une ambiance d'enfer. Un repas coûte en moyenne entre 150 et 160 DA. Les subventions sont assurées par les oeuvres sociales de l'éducation. L'APC de Aïn Benian assure, pour sa part, deux citernes d'eau quotidiennement. Après la soirée d'animation, les enfants placés en grand U autour de la scène improvisée dans la cour, somnolent. Lentement et dans le silence, chaque moniteur accompagne son groupe vers les dortoirs. Il fait frais. La nuit est synonyme d'autre chose que les massacres et le marasme national. Elle se contente de n'être qu'un temps pour s'amuser puis dormir pour se réveiller le lendemain et rêver aux jeux sur la plage toute proche. «On devrait encourager ce genre de camps de vacances», estime le responsable pédagogique qui regrette la disparition des camps estivaux pour handicapés. «Même l'encadrement fait défaut puisque avant on avait des enseignants comme animateurs ce qui facilitait le travail et pour nous et pour eux», ajoute-t-il. Les enfants endormis, les animateurs et le staff des responsables commencent la réunion d'évaluation de la journée aux environs de minuit. Ce qui a été fait et ce qui devrait être fait sont passés en revue. Le lendemain matin, les enfants se réveillent avec des tonnes d'énergie. Ils courent au lieu de marcher et chantent au lieu de parler. Serviettes de bain sur le dos, direction la plage. Parleront-ils de la guerre qui les a enfantés, des tueries et des faux barrages? Blessés à jamais dans leur innocence, ils nous montrent, pourtant, le chemin. Quelque part dans leurs regards, ils ont vaincu cette guerre. Et nous autres?