Dans une course contre la montre que mènent les services de sécurité contre le terrorisme, beaucoup de choses restent floues, illisibles, car invérifiables, voire « invisibles». Comme il fallait s'y attendre, les services de sécurité ont riposté de la façon la plus fulgurante. En quelques jours, plusieurs terroristes ont été abattus dans l'Algérois, plusieurs caches détruites et un lot d'armes récupéré. Tout cela n'est pas, toutefois, le plus important. Le véritable mérite des services de sécurité (armée, police et gendarmerie) se situe au plan de l'offensive entreprise contre les fiefs terroristes. En moins de quinze jours de bouclage des issues, de maillage rigoureux et de (re) déploiement des agents du renseignement, Alger vit au rythme d'un été normal. Aucun attentat majeur n'est venu perturber les vacances des familles. Trois plans de sécurité sont menés en parallèle pour mettre en échec la stratégie terroriste. Le plan «Delphine», de la gendarmerie nationale, celui «de proximité», dégagé par la police, qui se fixent comme priorité de rassurer le citoyen, de travailler de la manière qui serait perçue comme la plus proche de lui, et la plus à l'écoute des quartiers et des jeunes de la cité, travaillent, en fait, «en profondeur» afin de permettre à l'armée d'intervenir dans la périphérie et les «grands espaces». Selon les dernières estimations des responsables des ser-vices de sécurité, «le noyau dur du GIA d'Alger a été touché», «l'étau se resserre sur le dernier groupe d'Alger» et, «au moins, la moitié du groupe qui agit à Alger, a été neutralisée». Bien sûr, nul ne conteste les résultats encourageants obtenus par les services de sécurité, et il est toujours très stratégique de relever le moral des troupes après la série d'attentats qui ont touché la capitale et sa proche périphérie, les perforant comme du gruyère. Mais il serait injuste et dangereux de pavoiser là-dessus, car tout le monde aura compris que le danger persiste et que les groupes urbains n'ont été touchés que de manière très superficielle. Dans une course contre la montre que mènent les services de sécurité contre le terrorisme, beaucoup de choses restent encore floues, illisibles, car invérifiables, voire «invisibles». L'absence d'une politique globale clairement définie par «le» pouvoir, de façon définitive, interdit toute appréciation objective sur la lutte antiterroriste. Pire, «l'intox positive» induite par certains cercles de la sécurité incite à être davantage circonspect en matière d'interprétation des données directes. Ainsi en est-il de l'action menée en vue de faire (ré) apparaître un nouveau péril nommé Djamaât El-Ahrar, pseudogroupe terroriste aux contours mal définis et qui pourrait remplacer le Fida dans l'assassinat des intellectuels et des forces de l'ordre. Un communiqué, portant l'en-tête et la signature de cette organisation aurait été diffusé et placardé à Alger. Mais il est certain que l'on n'entendra pas de sitôt parler de cette Djamaât El-Ahrar, véritable avatar du Fida, et dont les visées ont réussi le plus important: créer une panique chez les intellectuels. Il serait encore pire de donner foi aux propos de ceux qui affirment que le noyau du groupe d'Alger a été décimé, car il risque de (re) plonger les hommes dans une dangereuse léthargie. Le terroriste neutralisé à La Casbah détenait, certes, des armes. Tout comme les deux groupes de deux personnes abattues à Khraïcia et la Chiffa. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut croire qu'ils sont la moitié des éléments agissant dans l'Algérois. Loin s'en faut... Les attentats perpétrés aux Eucalyptus, à Khraïcia et à Zeralda sont le fait de plusieurs terroristes à la fois (deux groupes de 3 à 5 éléments). Les attentats à la bombe perpétrés à El-Biar, à la Grande-Poste, à Tafourah, à Rouiba, à Birkhadem et à Larbaâ sont le fait de riverains et non d'étrangers. On ne vient pas de Médéa ou de Blida déposer une bombe dans un regard d'égout à Belcourt. On demande à un riverain de le faire. Toute cette «stratégie de proximité» relève l'existence de plusieurs réseaux urbains et néo-urbains différents et autonomes. L'atomisation des GIA a abouti à un retour vers les émirs du quartier, des chefs qui sont situés entre les chefs de bandes et les chefs de milices. Le contexte de déchéance de la société, l'agressivité culturelle et sociale ressentie par certains, ainsi que la grande misère vers laquelle glissent les jeunes poussent à être moins euphoriques que ceux qui jubilent à propos de la neutralisation de cinq jeunes terroristes et la récupération de trois kalachnikovs, six PA et quatre grenades. Le terrorisme et la lutte antiterroriste en Algérie ont créé tout un univers d'hommes concernés ou impliqués dans les enjeux qui en découlent. Cet univers possède sa logique propre, ses héros, son index, ses codes, ses coutumes, ses prolongements et ses soubassements. Et il est aussi inutile que naïf de croire que cet univers peut s'écrouler du jour au lendemain.