C'est une manière comme une autre de faire lire Mammeri. L'âme de Amusnaw continue à planer sur la vie culturelle du pays telle une fée bienfaitrice. Cette fois-ci, c'est le Le Foehn qui souffle, comme l'indique son nom, comme un vent chaud, réchauffant les planches du théâtre de Béjaïa, avec cette sortie fracassante et réussie, du metteur en scène Djamel Abdelli, et ce, au regard de l'accueil enthousiaste que lui a réservé le public, embarqué du tout début jusqu'à la fin. C'est une manière comme une autre de faire lire Mammeri, qui a pris au fil des années les allures d'un véritable rite, et, pour beaucoup, un moment très attendu pour rendre un nouvel hommage à celui qui fut l'un des fils les plus érudits de la littérature algérienne. Nouée autour de la thématique de la guerre d'indépendance et soutenue par une superbe interprétation des comédiens, qui tout en étant facétieux ont su rendre la gravité du contexte historique, la chronique a captivé et ému. L'histoire se déroule en plein bataille d'Alger et met en scène un jeune résistant, arrêté au moment même où il s'apprêtait à commettre un attentat contre un officier de l'armée coloniale. Emprisonné, torturé, humilié, il finit «ses épreuves» auprès de sa cible manquée qui l'interrogera vainement afin de lui soutirer des aveux. Peine perdue. Tarik tint bon, bien que se sachant voué au peloton d'exécution. De guerre lasse, et au terme d'une parodie de procès, son captif finit en effet par donner l'ordre de le passer par les armes. La trame fort émouvante a surtout valu par la qualité du discours livré et par le truchement duquel autant Mouloud Mammeri que Djamel Abdelli interroge non seulement l'histoire mais aborde l'aspect manichéen voire philosophique de la vie. Déclamés, alternativement en kabyle et en français, les dialogues sont passés avec une fluidité étonnante et ont restitué, dans un décor pourtant loin de l'ambiance des tranchées ou des casernes, toute l'ampleur et la force du drame qui se jouait. En fait, face à l'amplitude de la révolution qui a soufflé comme un foehn, ce vent du sud qui sévit principalement dans les alpes en Suisse, le colonialisme a perdu le sens de la mesure. Il en est devenu fou à l'image du procès mis en place pour juger Tarik et de la fin à laquelle a eu droit son bourreau...il en a tout simplement perdu la tête. Le foehn a été écrit dans sa première version en 1957, mais a été réécrit par l'auteur ultérieurement pendant son exil en 1958. C'est seulement en 1967, que la pièce a été montée, en français, pour la première fois au TNA, dans une mise en scène conduite par Jean-Marie Boeglin, et dans laquelle furent distribués entre autres Sid-Ahmed Agoumi et Keltoum. La question du manque de scénario se pose souvent. Mais hélas, elle se pose dans des situations particulières. Pour le meilleur ou pour le pire. Il y a plusieurs écrivains algériens, qui ont prouvé leur talent, dont les oeuvres sont interprétées par une de ces lignées humaines qui se sont construites, ici même, en Algérie. Il y a des auteurs qui sont construits de ça, qui construisent de ça et pour ça. Alors pourquoi ne pas mettre en valeur leurs oeuvres adaptables pour le cinéma et le théâtre?...