«Gardez espoir et aimez l'Algérie. Mais, vraiment, ne la confondez pas avec les Hassoud que vous rencontrez partout. Ce sont ses fils indignes...» L'Expression: L'Association des libraires algériens a décidé de vous décerner le prix 2009, pour notre part, nous vous disons «koulchi mabrouk!» Vous attendiez-vous à une telle distinction, et quel est votre sentiment? Hamid Grine: Franchement je ne m'attendais pas à recevoir le prix. Je savais que le roman Il ne fera pas long feu marchait très bien selon les échos que j'ai eus des libraires, sans plus. Aucun nom n'a filtré de la part des membres de l'Association des libraires. Je dois, cependant, avouer que quand la présidente de l'Aslia, Mme Fatiha Soal, et son vice-président Sid-Ali Sekhri, m'ont informé que j'étais le récipiendaire du prix, je n'étais pas tout à fait surpris. Mon nom revenait dans le trio de têtes des probables vainqueurs depuis quelques années. Je vais vous dire: j'ai beaucoup aimé cette capacité de garder le secret des membres de l'Aslia. Oui, le prix m'a fait plaisir, car il est attribué par des professionnels du livre et de la lecture. Ce sont des démasqueurs: ils savent quel est l'auteur qui est apprécié par les lecteurs et celui qui ne l'est pas. Un auteur peut tromper la presse et ses amis, mais pas les libraires. Ils lui mettront sous son nez ses chiffres de vente confidentiels. Ce n'est pas parce qu'on est connu comme journaliste qu'on est forcément apprécié comme auteur... Au vu et au su de tout le monde (presse-lecteurs), vous avez cassé un tabou avec votre dernier roman. Mais avec un succès qui dépasse peut-être vos attentes. Quel est votre commentaire? Je suis le premier surpris par le succès de Il ne fera pas long feu. Je me dis que ce vaudeville sur la presse a été apprécié pour la simple raison que la presse ne laisse personne insensible. L'autre explication est la suivante: au fil des ans et des livres, je me suis constitué un noyau dur de lecteurs qui m'ont ramené d'autres lecteurs. L'effet d'entraînement joue à fond. Vous ne croyez pas que vous avez semé un doute au sein des éditeurs algériens? Franchement, je ne pense pas. Certains sont déconnectés de la réalité, ce qui leur importe c'est le gain. Et ce n'est pas un roman qui va les changer. Ils sont irrécupérables. D'ailleurs, les personnes comme Hassoud ne lisent pas. Ils n'ont que mépris pour la lecture et pour les auteurs. Ils n'ont même pas de rubrique culturelle dans leurs journaux. Ils pourront prendre comme devise le mot de Goebbels: «Quand j'entends le mot culture, je sors mon flingue.» Mais le nom Hassoud n'est pas fortuit, car dans la langue arabe il signifie l'envieux... Bien sûr qu'il n'est pas fortuit, je l'ai nommé ainsi par répulsion pour le personnage. Je l'aurais appelé d'un prénom courant que j'aurais été gentil avec lui. Hassoud résume bien le caractère du personnage qui est un archétype. N'ayant pas dévoilé l'énigmatique Hassoud, sachant que vous étiez déjà journaliste et que vous le côtoyiez encore dans le cadre de votre profession, vous ne croyiez pas que ce nom est choisi comme dénominateur commun, ou une sorte de sonnette d'alarme sur la situation de la presse nationale? J'ai dit plus haut que c'est un archétype. Il représente une certaine catégorie de personnes qu'on retrouve dans la presse, mais aussi ailleurs. Ils sont l'écume d'un système. Viendra le jour, pourtant, où les Hassoud passeront à la trappe pour laisser place au génie et à la compétence. Ce jour viendra. Il s'agit de savoir attendre. «Patience est tout», comme dirait Rilke. A travers ce Hassoud, quel message voulez-vous émettre? Aucun message, sinon, braquer les feux sur une catégorie de personnes. Ou si message il y a, c'est celui d'une immense solidarité avec ceux qui travaillent et luttent au quotidien pour du pain. Mon héros n'est pas le beggar, mais la femme et l'homme qui se lèvent chaque matin pour aller trimer. Un dernier mot pour vos lecteurs Combattez avec votre compétence et votre sérieux tous les Hassoud que vous rencontrez. Gardez espoir et aimez l'Algérie. Mais, vraiment, ne la confondez pas avec les Hassoud que vous rencontrez partout. Ce sont ses fils indignes...