Passage par le Salon du livre. Visite dans le monde de la librairie. Découverte d'une association. Eclairages enfin sur la vente de certaines librairies qui a défrayé la chronique. Le tout sereinement. Parlons d'abord du précédent Salon du livre… Je pense qu'il faut éviter d'être manichéen, ce n'est pas noir ou blanc. L'évolution est là. Le SILA s'est inscrit dans la durée en devenant un rendez-vous incontournable pour les Algériens et en figurant dans l'agenda des professionnels étrangers. Il a connu une plus grande affluence parce que le mois de novembre s'est révélé plus propice. Le public est plus disponible, moins pris par les contraintes et charges de la rentrée et ce choix, dû au hasard, a été retenu pour l'avenir. A noter aussi, la plus grande participation étrangère. Maintenant, il est sûr que les modalités et l'image du Salon doivent être améliorées. Les critiques vont généralement vers l'organisation. Cette année, il y a eu un peu plus d'ordre. Il reste surtout à améliorer le contenu. Par exemple, il n'y a pas eu assez de nouveautés. Les éditeurs étrangers ne sont-ils pas en train de se dire que le marché algérien n'est pas aussi porteur qu'ils le pensaient ? Il ne faut pas se leurrer. S'ils viennent, c'est pour des considérations de rentabilité. Pour l'édition francophone, il se trouve que le livre en langue française subit, depuis deux ans maintenant, une espèce de marasme dont nous ne cernons pas encore tous les aspects. Il y a eu la disparition de plusieurs maisons d'importation en raison du nouveau contexte juridique. Les éditeurs français font de moins en moins d'effort de prix. Leurs pouvoirs publics les subventionnaient, ce n'est plus le cas. D'une manière générale, l'effort de changement du Salon a été engagé. Actuellement, nous sommes encore entre le bazar et le Salon. Il faut maintenant un cahier des charges rigoureux pour que les exposants respectent certaines conditions dont un maximum de nouveautés. En langue arabe par exemple, il y a essentiellement des livres de référence (dictionnaires, langues…) et des livres religieux. Il faut assurer une contribution en littérature, sciences, etc. et la présentation d'auteurs arabes par les exposants. A part ceux que nous invitons dans notre programme, ils n'en ramènent pas. Vous êtes chargée de l'animation. Mais avez-vous votre mot à dire sur le reste ? L'Aslia s'est battue pour que le salon ne se résume pas aux ventes et devienne un espace culturel. Nous avons été écoutés et de grands progrès ont été réalisés sur ce plan. Le Prix des libraires est devenu une petite tradition. Il reste à mieux réfléchir les thèmes, à mieux coller à l'actualité éditoriale, à mieux faire connaître les livres et les auteurs. Aslia est membre du comité d'organisation avec d'autres organisations professionnelles. On est une force de proposition et on ne s'en prive pas sur tous les aspects. L'animation vise un public adulte, intellectuel, un peu élitiste. Mais que dire des autres catégories d'âge et niveaux culturels ? Si nous devons faire notre autocritique, hormis 2004 où il y a eu une forte animation, en raison d'un budget conséquent, c'est vrai que l'on a délaissé un peu l'aspect jeunesse, enfance, éveil. Pour les enfants, il y a quand même les lectures de contes. Mais pour les jeunes, le manque est évident. C'est une population qui ne lit pas ou très peu. La question se pose à l'échelle de la société et du système éducatif. Cela dit, je suis d'accord avec vous, il faut diversifier l'animation. Votre association se veut aussi une force de proposition dans la politique du livre. Etes-vous écoutés ? C'est notre plus grande réussite, quelles que soient les critiques que Aslia puisse essuyer, car il y a toujours des choses que nous n'avons pas eu le temps ou l'idée de faire. Nous sommes consultés régulièrement par le ministère de la Culture. Après une série de rencontres, nous avons déposé un premier dossier avec tout ce que les libraires souhaitent voir changer dans le monde du livre. Mais on ne voit encore rien venir… La procédure a été engagée pour l'adoption d'une politique nationale du livre. On espère que cela va se faire au plus vite. Cette année, nous avons décidé d'engager des actions précises auprès de certains ministères : Education nationale, Jeunesse, Finances, etc. sur des demandes claires et constructives. Le dossier déposé au ministère de la Culture porte entre autres sur la disponibilité et la circulation du livre, la formation, le statut du libraire, la lutte contre le piratage. Nous demandons aussi un prix unique du livre, car nous subissons la concurrence de nos propres fournisseurs et nous perdons des marchés en dehors de celui du livre scolaire (bibliothèques, entreprises, universités…). Un des points sensibles du dossier est celui de la lecture publique. Il faut que le livre soit présent à l'école et dans les quartiers. Si on apprend aux enfants à lire en leur donnant le goût de le faire, le marché du livre se développera de lui-même. Nous avons publié * la lettre d'un de vos collègues qui s'indignait de la vente actuelle de librairies issues de l'ancienne ENAL et leur transformation en commerces, disons moins nobles. Qu'en pensez-vous ? Nous avons discuté de cette question en réunion du bureau. Il faut préciser que ces opérations ne sont ni illégales ni immorales. Rien ne peut être contesté sur ce plan. Ces fonds ont été achetés et payés par les anciens travailleurs de l'ENAL. Il y a eu une agitation un peu stérile, méchante même, et je me suis fait un point d'honneur à ne pas céder à la polémique. Au plan des faits maintenant, il faut revenir à l'historique. Le transfert des librairies de l'ENAL vers ses anciens travailleurs avait deux objectifs : préserver des emplois car il y allait avoir des licenciements et, effectivement, préserver un réseau de librairies qui risquaient alors de disparaître. Ces deux objectifs ont été atteints. Mais pour le deuxième, ne revient-on pas au point de départ ? L'opération a une décennie d'âge. Le réseau reconstitué sur cette base a permis la relance de l'activité dans un contexte difficile. Une dynamique s'est amorcée et le livre a recommencé à retrouver sa place dans l'espace social. De plus, cette dynamique a touché la distribution mais aussi l'animation, ce qui n'existait pas même du temps de l'ENAL. On ne peut nier cette réussite. Chaque semaine, plusieurs ventes-dédicaces et rencontres ont lieu dans les librairies. Les faits sont là : à ce jour, sur les cinq librairies cédées, deux sont restées librairies, ce qui donne trois librairies de perdues tandis, qu'à côté, on a enregistré la création de six nouvelles. Je ne comprends donc pas cette inquiétude orientée et la fixation sur la rue Didouche Mourad et la librairie El Ghazali alors qu'il faut envisager la globalité des choses. Or, je constate qu'à partir d'une librairie fermée, il y en a une ou deux autres qui ouvrent. Il y a une régénérescence. Encore une fois, ce n'est pas illégal. On est dans une phase où l'Etat s'est dessaisi de certaines activités et biens pour les reverser dans le privé, où il a créé les conditions d'une plus grande fluidité du marché locatif et un développement de l'initiative privée. On ne peut emprisonner les gens dans des structures stériles. Ce ne sont pas des petites structures collectives privées qui vont prendre en charge une politique dont l'Etat lui-même s'est libéré. La réussite de ce réseau, les gens aimeraient justement qu'elle se poursuive. Se pose aussi la question des villes de l'intérieur où il n'existe parfois qu'une seule librairie. Si elle vient à fermer ! Il faut savoir que les librairies issues de l'ENAL se débattent dans des problèmes incommensurables. L'Etat les a cédées à des collectifs hétéroclites, aux niveaux de compétences et de qualifications très différents, ce qui a généré en leur sein des problèmes subjectifs et parfois des conflits inévitables. Il faut savoir aussi que la plupart de ces locaux se sont avérés en contentieux juridiques. Certains appartenaient effectivement à l'Etat, d'autres étaient en bail commercial et il y a ceux appartenant à des privés qui les réclament aujourd'hui. Beaucoup de collectifs se battent encore pour conserver leurs locaux et ont entamé des procédures en justice, notamment à l'intérieur du pays. Je peux citer Béjaïa, Tizi Ouzou, Blida, et deux ou trois librairies d'Alger en conflit avec les propriétaires. Ils ne peuvent pas perdurer ainsi. Malgré cela, tous n'ont pas vendu et ils essaient encore de travailler. Les libraires se trouvent confrontés à l'évolution économique du pays et à la hausse vertigineuse des charges et de l'immobilier. Cela a créé des appétits féroces et tout le monde cherche ses repères. En tant que présidente d'Aslia, je ne peux que constater qu'en dépit de cette pression immense, il y a plus de librairies qui s'ouvrent que de librairies qui ferment. Avec tout cela, trouvez-vous le temps de lire ? Je le prends oui, car cela dépasse mon métier. C'est une seconde nature. Je ne peux pas passer une journée sans lire, souvent plusieurs livres en même temps. En ce moment, je lis La Kahina de Gisèle Halimi et, en parallèle, le livre sur l'Emir Abdelkader de Waciny Laredj. Je dois dire que si je conseille mes clients, il arrive aussi qu'ils me conseillent un titre. Le métier de libraire est un véritable échange. BIO-EXPRESS Fatiha Soal a poursuivi jusqu'en post-graduation des études de droit à l'Université d'Alger. Elle entre en 1987 à l'ENAL (Entreprise nationale du livre, issue de l'ex-SNED) où elle se voit confier en 1990 la direction de l'édition. L'effort tardif de renouveau de l'entreprise n'empêchera pas sa liquidation. Mme Soal entre alors dans un des collectifs de travailleurs qui reprennent les librairies de l'ENAL. Depuis 2002, elle est présidente d'Aslia (association des libraires algériens) et c'est son second mandat. * in Arts & Lettres du 1er février 2007.