Ces textes ont été rédigés par des lycéens algériens à l'initiative de l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique à Alger qui leur a organisé, durant le mois de Ramadhan dernier, un concours sur le dialogue des religions. Nous publions ici les trois meilleurs textes qui ont été sélectionnés et primés. Depuis des lustres, l'homme a cherché des explications rationnelles à toutes sortes de phénomènes. Il a, pour cela, usé de bien des techniques et il a fait appel à la science. Il a souvent atteint ce dessein de compréhension; mais quelques barrières se sont parfois dressées en travers de son chemin et il s'est confronté à l'inexplicable, cela dépassait de loin ses capacités, l'une des raisons pour lesquelles il s'en est tourné vers la religion. Pour la plupart des humains, la religion est une partie inéluctable de l'identité, un composant essentiel de leur intégrité. Elle est comparable à un pilier d'un édifice, sans lequel celui-ci pourrait, sinon s'effondrer, du moins ne serait-il pas à même d'affronter les caprices de la nature. Ainsi, la religion, au côté de l'appartenance ethnique, linguistique, culturelle, est ce qui caractérise un homme ou un groupe d'humains, les rend uniques et les aide à bâtir leur vie sur des principes et des valeurs fondés sur une culture à part entière. Mais au jour d'aujourd'hui, et par le biais des médias, des journaux et des télévisions, nous sommes confrontés à une nouvelle image des religions. L'Islam, par exemple, est dépeint comme étant une religion d'obscurantisme et d'appel au meurtre et aux massa-cres. Une religion de privation des libertés. Mais la majorité des musulmans de ce monde, j'en suis sûre, ne se reconnaissent pas dans cet Islam que véhiculent les médias. Je ne reproche pas seulement à ces derniers de rendre les événements de ce monde complètement inintelligibles mais aussi d'entacher une religion millénaire. J'ai vécu et grandi au sein d'une famille de confession musulmane, je ne connais ni appels au meurtre ni massacres, cela m'est étranger. En revanche, je connais l'art, la calligraphie, l'architecture ancestrale, les traditions culinaires, l'héritage culturel, musical, littéraire et scientifique. L'Islam n'est en aucun cas incompatible avec la liberté, la démocratie et les droits de l'homme et de la femme. Il suffit de lire un ouvrage d'histoire de l'Islam de n'importe quelle époque - andalouse, abbâsside, omeyade - pour s'en rendre compte. Mais alors, pourquoi ces faits sanglants sont-ils sous la rubrique «Islam»? La réponse est qu'aujourd'hui le monde musulman se sent bafoué, donc indigné et mis en marge de la modernité, cette dernière étant exclusivement présente en Occident. C'est ce sentiment de frustration exacerbé qui pousse parfois les hommes aux pires extrémités pour essayer de se faire entendre d'un Occident à son apogée... Nous vivons actuellement un phénomène d'une ampleur sans précédent: en quelques décennies nous avons franchi, en matière de technologie et de modernité, ce que franchissaient nos ancêtres en pas moins de cent ans. À l'ère de la mondialisation et du brassage accéléré qui nous enveloppe, toutes les frontières qui séparaient naguère un peuple d'un autre disparaissent pour laisser place à des quantités d'informations qui circulent partout dans le monde: ce qui se passe à Berlin peut aisément se savoir à Khartoum..., mais tout le monde ne voit pas cette mondialisation d'un bon oeil, certains en parlent même comme d'un fléau; on ne s'émerveille pas toujours devant les dernières avancées en matière de communication. Car il y en a qui considèrent que la mondialisation porte la marque de l'Occident et que la modernité est synonyme d'occidentalisation. Cela, bien sûr, ne pose aucun problème pour ceux qui font partie de cette culture. Ces derniers peuvent s'adapter: plus ils se modernisent plus ils se sentent en harmonie avec leur culture, avec leur religion. Mais pour les peuples non-occidentaux, la donne change: chaque pas dans l'existence s'accompagne d'un sentiment de reniement de leur identité et de leur culture. Pour les Arabes, les Arméniens, les Tibétains, les Turcs, les Indiens, la mondialisation a toujours impliqué l'abandon d'une partie d'eux-mêmes. Il leur a fallu admettre que leur savoir-faire était dépassé et qu'il leur fallait adhérer à une seule et même culture s'ils voulaient jouir de cette modernité. Il n'est donc pas très étonnant de constater que les peuples «marginaux» mettent en avant une de leur appartenance identitaire - en l'occurrence, la religion - pour affirmer leur présence, car ils sentent leurs cultures, leurs traditions menacées... Le dilemme Un dilemme est en train de se présenter à eux d'une manière significative: soit ils intègrent cette modernité occidentale, en écartant d'un revers de main dédaigneux leur culture et leur religion, soit ils se contentent d'être ce qu'ils sont sans aspirer à une vie meilleure. Et c'est là tout le problème, la modernité ne doit pas être une condition, car si tel est le cas, nous courons vers un appauvrissement alarmant de la culture universelle. Et c'est contre quoi je m'élève férocement. Les différences sont des richesses et ce principe s'applique aux religions, elles doivent être préservées, et cela via l'échange culturel. Ce dernier, même s'il n'y paraît pas, est déjà en cours depuis des siècles. Prenons en exemple le fait que les Arabes musulmans ont traduit les sciences du grec vers l'arabe. En mathématiques, ils ont simplifié l'écriture des nombres et les algorithmes des opérations qui sont nés au Maghreb. De Béjaïa, ils sont passés en Europe (*). En astronomie, les arabes musulmans ont inventé l'astrolabe qui a été, plus tard, amélioré par les Occidentaux. L'Occident a donc hérité de ce legs musulman. Mais je ne ressasse pas ces exploits pour faire revivre une gloire passée qui n'a plus beaucoup de sens dans le monde d'aujourd'hui, je veux juste signifier que l'échange culturel dure depuis longtemps déjà et il n'a pas lieu de s'arrêter. Et cet échange entre religions est le bienvenu, malgré les remontrances de certains sceptiques à l'esprit fermé et obtus. Car, finalement, toutes les religions - Islam, Christianisme, Judaïsme, Bouddhisme...- convergent vers une même direction: elles prônent toutes des valeurs et des principes nobles tels que l'amour du prochain, le pardon, le respect, la bonté... Nous disions plus haut qu'il y a aujourd'hui regain de violence dû à la frustration que ressentent les peuples marginalisés face à un Occident moderne et puissant, également face au dilemme expliqué antérieurement.Un regain de violence que seul un dialogue direct entre religions peut apaiser. Lui seul encore est en mesure d'éradiquer les guerres et les conflits entre les peuples. Je dis «lui seul» parce que les armes, la force et les moyens militaires restent toujours inefficaces et vains. Ces derniers ne font qu'attiser les flammes de la haine entre peuples et pays. En revanche, le dialogue est un moyen pacifiste qui aidera à diminuer les abîmes qui séparent les cultures les unes des autres. Ce dialogue des religions nécessite de la part des peuples, qu'ils admettent que leur religion ne détient pas la vérité absolue, mais qu'en chaque religion se trouve une part de cette vérité, car le dialogue est impossible quand on pense détenir la vérité universelle. De plus, il faut que les peuples prennent en considération les droits de l'homme, notamment la liberté d'expression, le droit à la démocratie et la suppression des dictatures, ces dernières font barrage entre le peuple et le reste du monde, elles empêchent tout dialogue. Les droits de la femme doivent être respectés-ce qui n'est pas encore le cas. Le monde moderne exige des peuples qu'ils se mettent à niveau, qu'ils soient plus tolérants et qu'ils abandonnent cette étroitesse d'esprit qui ralentit les efforts d'échanges culturels, car si l'on veut que le dialogue soit bénéfique et fructueux, il faut qu'il se fasse d'une façon libre et sans complexe aucun. De plus, les moyens de communication octroient la possibilité de raccourcir «les distances culturelles» et l'apprentissage des langues aux jeunes générations est un excellent moyen de faire connaître les cultures et les religions des uns et des autres. Je dis les langues, mais je pense à tous les moyens de communication tels que la musique et le sport, ceux-ci sont universellement compris, ils rassemblent les habitants de toutes les contrées. C'est pourquoi, il serait judicieux d'organiser à l'échelle internationale des festivals musicaux, des compétitions sportives et d'y faire participer tous les intéressés. Les Jeux olympiques par exemple rassemblent les sportifs du monde sans se soucier de leur appartenance religieuse. Porter un regard nouveau sur soi et sur l'autre est indispensable, cela peut se réaliser en permettant des échanges culturels à travers la libre circulation des personnes, les voyages éducatifs où les adolescents sont intégrés dans des familles d'accueil, aide à connaître les traditions qui forgent la culture d'un peuple. Le travail des forums internationaux et des colloques culturels n'est pas des moindres; il faudrait donc qu'il soit étalé sur une plus grande échéance avec la possibilité d'y faire participer les jeunes de toute provenance. En outre, les systèmes éducatifs des pays peuvent prendre l'initiative d'enseigner l'histoire des religions aux élèves, une manière de s'ouvrir sur toutes les religions, de les connaitre et d'être plus tolérants envers ce qui est un trésor culturel universel de l'humanité. Et demain? Ce dialogue est ce qui effacera les clichés et les préjugés envers les religions qui sont aujourd'hui montrées du doigt comme étant la source de tous les maux. A terme, toutes les formes de coexistence entre les six milliards et demi d'humains de cette planète seront possibles. Et cela, quelles que soient leurs différences de croyance. Les religions sont une partie de l'histoire de l'humanité, et en tant que telles, elles doivent être préservées au même titre que la préservation de l'environnement qui est aujourd'hui la préoccupation de tous. Alors pourquoi ne pas étaler cette protection à l'environnement culturel de l'homme? Cette diversité de religions, ces différences sont des richesses et il n'y a aucune raison qu'elles restent enfouies dans l'oubli et le désintéressement. Les cultures doivent se mêler les unes aux autres, mais sans pour autant se fondre dans une seule et même masse insignifiante. Bien au contraire, cet échange doit être teinté de différents tons, les reliefs étant mis en valeur. Dans un métier à tisser, l'artisan use de fils et de ficelles, certains gros, d'autres fins, dotés de couleurs vives, criardes, chaudes et froides. Et judicieusement, il résulte de ce subtil entrefilage, un tapis aux motifs harmonieux. Tout comme une symphonie ne peut se faire sans les diverses instruments musicaux qui auront pour but de produire des sons graves, aigus, doux ou forts. Tout cela pour dire que si l'on aspire à un monde harmonieux, et sans dissonances, les efforts de tous sont nécessaires. Chacun doit y mettre du sien, Woodrow Wilson, dans l'une de ses citations affirme: «Vous êtes là pour enrichir le monde»(* *) (*)A. Boucenna, «Sur l'origine des chiffres arabes», département de physique, faculté des sciences, université Ferhat-Abbas, Sétif, Algérie. (* *)Traduction de «You are here to enrich the world», Woodrow Wilson.