«Quand les riches se font la guerre ce sont les pauvres qui meurent». Jean-Paul Sartre Que se passe-t-il au Yémen dont on dit que c'est la nouvelle poudrière qui va faire exploser la marmite du Moyen-Orient? Petit pays de 20,9 millions d'habitants avec une superficie de 527.970 km², un taux d'alphabétisation de 47,7%, il est composé de musulmans sunnites (55%), et de musulmans chiites (42%), les autres habitants chrétiens, hindouistes, juifs. C'est une République islamique. Sa principale ressource est le pétrole. Son PNB-PPA par habitant (à parité de pouvoir d'achat) (en dollars) est de 751. Sa consommation d'énergie est de 184 kilogramme-pétrole par habitant. On voit que c'est un pays sous-développé qui n'a rien d'exceptionnel. Ce qui fait son intérêt, c'est d'abord sa position géographique sur le flanc sud de l'Arabie Saoudite, il a une vue directe sur le détroit de Bab el Mandeb, il est placé sur les routes du commerce international, notamment pétrolier et sur la zone de «piraterie», dit-on, somalienne. C'est ensuite la découverte du pétrole qui ne peut laisser indifférents ceux qui en ont besoin. C'est enfin le régime, un régime despotique: Ali Abdallah Saleh au pouvoir depuis trente ans, et qui a pu éliminer tous ses adversaires et qui, comme tout homme, doit passer la main, d'où une lutte sourde pour la succession d'autant plus féroce que le Yémen est le seul pays musulman où la proportion sunnite, chiite est du même ordre. Ce qui explique en partie l'état de guerre civile depuis plus de 10 ans entre le gouvernement central (sunnite) aidé par l'Arabie Saoudite et les Houtistes (chiite) du Nord (zone frontière avec justement l'Arabie Saoudite), et, dit-on, aidé par l'Iran, le Satan actuel de l'Occident... Une position stratégique Une autre complication est venue avec, dit-on dans la presse mains-stream, l'irruption d'Al Qaîda qui, après l'Irak, le Pakistan, l'Afghanistan, et même dit-on l'Aqmi du Maghreb, ouvre un «succursale» au Yémen. Il faut donc, qu'au nom de la lutte contre le terrorisme international, le combattre. Le Yémen, troisième front de la lutte contre le terrorisme écrit le New York Times. Les questions se multiplient aux Etats-Unis après l'attentat manqué, le 25 décembre, du jeune Nigérian Umar Farouk Adulmutallab. Celui-ci a tenté de faire exploser un avion au-dessus de Detroit. Il a affirmé avoir été entraîné par Al Qaîda au Yémen, où le quotidien américain révèle que les Etats-Unis ont ouvert très discrètement depuis un an un troisième front contre le réseau terroriste. L'armée américaine y a notamment envoyé des forces spéciales pour assurer la formation de militaires yéménites.(1) Dans le même ordre d'idées, concernant Al Qaîda au Yémen, Jeffrey Fleishman écrit: Profitant de la situation chaotique qui règne dans le pays, l'organisation terroriste recrute et tisse un réseau solide susceptible de frapper n'importe où. L'attentat manqué contre un appareil de la compagnie Northwest Airlines, le 25 décem-bre, en est l'illustration. La branche d'Al Qaîda au Yémen, qui a revendiqué la tentative d'attentat sur un vol de la Northwest Airlines qui assurait la liaison entre Amsterdam et Detroit, compterait près de 2000 militants et sympathisants, affirme un spécialiste du terrorisme yéménite. (...) Le pays ne fournit plus seulement des penseurs radicaux, il attire désormais les extrémistes qui rêvent de rejoindre un front en pleine évolution au Moyen-Orient.(2) (....) Le groupe - qui, selon les analystes, a pour objectif l'établissement d'un califat islamique dans tout le golfe Persique, à partir duquel il pourrait attaquer ensuite les intérêts occidentaux et israéliens - opère depuis l'autre rive de la mer Rouge, en Somalie, où une autre branche du réseau s'est installée dans la région de non-droit qu'est devenue la Corne de l'Afrique. Ce scénario inquiète Washington. (...) «Au niveau mondial, Al Qaîda est peut-être militairement affaiblie, mais ce n'est pas le cas au Yémen. On y trouve beaucoup d'armes. Le Yémen est un Etat idéal pour le développement d'Al Qaîda. Les djihadistes peuvent tirer parti du chaos qui règne dans le pays.»(2) Autre appréciation aux antipodes de la doxa occidentale: «Ce nouveau conflit est très grave: Pour plusieurs raisons. Au départ, il s'agit d'un foyer d'instabilité, mettant aux prises des courants de l'Islam différents(...). L'Occident divise pour régner, c'est machiavélique. Ensuite, le Yemen occupe une position stratégique, dans la mer Rouge, et donc convoitable, d'autant que les rivaux russes, chinois, ou d'autres peuvent être tentés de s'implanter là où il n'y a pas encore de bases anglo-saxonnes. De surcroît, chaque parcelle de sol peut recéler des ressources que l'Amérique, toujours à l'affût d'espace vital, veut utiliser elle-même pour maintenir son niveau de vie, assurer sa prééminence, continuer à dominer le monde.»(3) «Les USA tentent par tous les moyens de perpétuer leur hégémonie, comme toujours, par la force puisqu'ils la préfèrent au Droit. Mais il y a plus: cette zone, en partie sous influence chiite, intéresse l'Iran, et donc les USA bien décidés à affaiblir l'ennemi qu'il s'est choisi. Dans ce cadre, on situe mieux la tentative avortée d'attentat, parfaitement grotesque d'ailleurs, du pseudo-terroriste d'Al Qaîda. (...) Bref, nous avons à nouveau un (projet d') attentat sous fausse bannière, sans doute moins d'Al Qaîda que des services secrets occidentaux, ou au mieux, nous avons un simple prétexte pour justifier ce qui est programmé de longue date.» Donc, nouveau terrain d'opération pour les USA. Et c'est très grave. Non seulement parce que les populations, évidemment, commencent à souffrir (raids aériens, drones, meurtres ciblés...), mais parce que ces choix illustrent parfaitement les objectifs réels du prix Nobel de la paix, nouveau visage d'une politique qui ne varie pas, furieusement néocoloniale, impériale, hors-la-loi, comme du temps de Bush. Pour moi, nous assistons aux prémices d'une tactique planétaire: prendre prétexte d'un fait plus ou moins mis en scène, et complaisamment relayé par une presse servile, pour s'implanter sur toujours plus de territoires: mise en place de bases militaires et de marionnettes dévouées aux ordres de Washington, pillage des ressources, contrôle des populations et des zones, voire des routes pétrolières, signaux lancés aux rivaux, supplantation des Chinois ou des Russes, etc. A ce tragique jeu, qui commence par des opérations de basse intensité et se termine par la sanglante mise à sac de tout le territoire convoité, les Occidentaux sont passés maîtres. Ils avancent pas à pas, mais tout, au final, tombe dans leur escarcelle...(3) «(...) Tout se fait discrètement, en petit comité, entre dirigeants du complexe militaro-industriel, entre amis, entre futurs bénéficiaires, ou comme dirait notre cher Sarkozy, tout, vraiment tout, est désormais possible. Et tant pis si un peu partout les peuples en font les frais, tant pis s'ils sont massacrés, bombardés, terrorisés, mutilés, blessés, meurtris, démunis, ruinés, dressés les uns contre les autres, anéantis, exterminés, c'est du grand art, disons-le: du grand terrorisme, du terrorisme absolu, celui d'Etat. Toutes les lois humaines, de guerre, internationales, sont violées, le champ est libre: on convoite, on s'empare...vols, mensonges, crimes, tout est permis...Le cynisme est total.»(3) La dernière phase paroxystique de la guerre, au Yémen, contre les rebelles Houthis, a fait plus de 2000 morts en moins d'un mois et plus de 150.000 sans-abri. Les troupes du gouvernement yéménite se battent contre environ 15.000 rebelles Houthis, armés et entraînés par l'Iran et retranchés dans les montagnes du Nord, autour de Saâda, sur la frontière de l'Arabie Saoudite. Les bombardiers de l'armée de l'air saoudienne tapissent les zones rebelles et civiles, et l'armée de l'air et la marine égyptienne transportent des munitions pour l'armée du Yémen avec les encouragements et le financement des Etats-Unis. Plusieurs sources confirment les traits saillants du conflit en cours au Yémen: la petite armée yéménite de 66.000 hommes, manquant de stocks de matériel militaire organisés, a bientôt commencé à se trouver à court de munitions et d'équipement militaire. Une guerre par procuration L'armée égyptienne s'est empressée de fournir cet approvisionnement nécessaire, en mettant en oeuvre un corridor naval et aérien. L'Administration Obama s'est lancée dans la mêlée, grâce à son assistance financière alimentant les efforts saoudiens et égyptiens pour venir en aide au Yémen. Autant que les Etats-Unis et Israël avaient été pris par surprise par les capacités militaires du Hezbollah, lors de la guerre du Liban en 2006, les Américains et leurs alliés ont été stupéfaits par la maîtrise du champ de bataille des rebelles Houthis. La 1ère Division d'infanterie mécanisée de l'armée yéménite, renforcée par chacune de ses 6 brigades de commandos- parachutistes et le soutien aérien saoudien, s'est avérée incapable, depuis septembre, de briser la résistance des rebelles. La situation ressemble de plus en plus à une guerre par procuration entre Riyad et Téhéran, la presse saoudienne du 5 novembre n'hésitant pas à parler d'«assaut des agents de l'Iran contre la frontière». Les Saoudiens accusent les Iraniens de vouloir étendre l'influence chiite dans la région en fournissant armes et argent aux rebelles, tandis que les Iraniens reprochent aux Saoudiens de soutenir le régime yéménite d'Ali Saleh et de vouloir exporter la doctrine wahhabite. Le Yémen est devenu la priorité des priorités pour le président Barack Obama depuis l'attentat avorté du Nigérian Omar Farouk Abdulmutallab contre un avion, le jour de Noël. Le général David Petraeus s'est rendu à Sanaa et y a rencontré le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, pour lui transmettre un message de son homologue américain. Le Premier ministre britannique Gordon Brown a appelé à la tenue d'une conférence internationale à la fin du mois, pour parler du terrorisme au Yémen et en Somalie, et à la création d'une unité spéciale pour intervenir dans la région. Le mot clé est «Al Qaîda», qui utilise le sol yéménite comme terrain d'entraînement, centre de recrutement et base de lancement pour des attaques contre des cibles américaines et européennes. Omar Abdulmutallab a reçu sa formation dans une université fondamentaliste de Sanaa et a rencontré les dirigeants d'Al Qaîda pour la péninsule Arabique à Aden et à Abyan [fief présumé d'Al Qaîda, dans le sud du Yémen].(4) (....) Ce pays n'a jamais disparu des écrans radar d'Al Qaîda. Aujourd'hui, le président américain veut doubler les aides au Yémen et s'engager dans une guerre commune avec les forces yéménites contre l'organisation terroriste. Concrètement, cela signifie que le pays sera mis sous tutelle militaire américaine, puisque ce genre d'aides et de coopération ne se fait pas sans contrepartie. Les Américains n'interviendront pas au nom du bien-être des habitants, mais pour protéger leurs propres intérêts. Cet engagement n'empêchera pas le Yémen d'être un Etat en faillite. Il risque même d'aggraver les difficultés et risquera de transformer toute la péninsule en foyer d'instabilité. Rappelons-nous que l'intervention américaine a fait de l'Afghanistan et de l'Irak les pays les plus corrompus et les plus instables du monde. Le destin du président yéménite Ali Abdallah Saleh ne sera peut-être pas meilleur que celui de l'Afghan Hamid Karzai.(4) Pour François Marginean, s'agissant de «l'attentat raté d'Amsterdam», nous sommes en face d'un complot du style Armes de destruction massive prélude à l'invasion de l'Irak.Il écrit: «(...) Les Etats-Unis ont accusé Abdulmutallab d'être lié à une cellule d'Al Qaîda située au Yémen et en Arabie Saoudite. Vous vous rappelez quand on nous disait qu'Al Qaîda était en Afghanistan? Nous avons ensuite envahi. Et la fois où on nous disait que l'Irak était devenu la nouvelle base d'Al Qaïda? Nous avons aussi envahi le pays. Que pensez-vous que nous risquons de voir se produire si Obama et les médias clament que le Yémen et l'Arabie Saoudite sont la nouvelle demeure du célèbre groupe terroriste créé à l'origine par la CIA? Mais qu'en est-il réellement? Nous pourrions commencer par demander comment Umar Farouk Abdulmutallab a pu être capable de monter à bord de l'avion qui partait d'Amsterdam vers Détroit sans passeport. Nous savons tous que le profilage ethnique existe, surtout envers les musulmans. Particulièrement depuis le 11 septembre 2001 et la subséquente guerre contre le terrorisme. Imaginez maintenant un jeune homme provenant d'un pays musulman voyageant seul et sans bagage, avec un billet aller simple en direction des Etats-Unis et sans passeport. (...) et qui a convaincu le personnel à la porte de sécurité de laisser passer Umar Farouk Abdulmutallab sans passeport? (...) Et pour pallier tout cela, on nous dit qu'il va falloir augmenter la sécurité dans les aéroports, se soumettre à des fouilles à nu virtuelles, faire du profilage ethnique à fond, attendre en file des heures, le temps de nous créer de nouveau une illusion de sécurité et de nous faire frire aux rayons X potentiellement mutagènes et cancérigènes».(5) Le 4 janvier 2010, la secrétaire d'Etat US, Hillary Clinton, a déclaré que l'insécurité au Yémen est une menace régionale et globale. Il faut donc armer les Arabes. On apprend que l'Administration américaine a signé une série de marchés d'armements à grande échelle avec les pays arabes, en vertu desquels les Etats-Unis ravitaillent l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la Jordanie, les Emirats arabes unis, de moyens de combat ultramodernes, comme des missiles antinavires, des missiles antichars, des bombes intelligentes etc. Ces marchés visent à renforcer ce qui est appelé «l'axe modéré dans le monde arabe»...En définitive, à travers le Yémen, c'est, le croyons-nous, la configuration réelle du Grand Moyen-Orient qui est modelée. Le pays à abattre est l'Iran accusé d'aider les Houtistes. Pour cela, L'Occident est prêt à s'allier à Al Qaîda sunnite pour combattre le chiisme et créer une nouvelle Fitna. Il serait prêt à libérer les terroristes yéménites d'Al Qaîda retenus à Guantanamo pour les incorporer dans l'armée yéménite. Des jours sombres se profilent pour le monde musulman du fait de la duplicité des potentats arabes. (*) Ecole nationale polytechnique (*) Ecole d´ingénieurs Toulouse 1.The New York Times: Le Yémen, troisième front de la lutte contre le terrorisme 28.12.2009 2.Jeffrey Fleishman: Al Qaîda fait son trou au Yémen. Los Angeles Times 30.12.2009 3.Permalien: Yemen, une nouvelle guerre impériale qui ne dit pas son nom http//www. 20.six.fr/ basta./art/ 173504043/ 4.1.10 4.Abdelbari Atouan: Branle-bas de combat au Yémen. Al-Quds Al-Arabi04.01.2010 5.François Marginean: Le présumé terroriste prend le vol 253 de Northwest sans passeport; fiché comme terrorisme. http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=16831 7 01 2010