Le roman à l'eau de rose, porté par la belle Sittelle algérienne, prendrait-il son essor sous notre ciel bleu d'azur? Peut-être d'abord, quelques mots sur «la Sittelle», le titre de la collection des Editions Alpha, sous laquelle sont publiés les deux ouvrages annoncés plus haut. La Sittelle est ce passereau dont le type est le moineau et dont j'apprends qu'une espèce propre à l'Algérie a été découverte le 5 octobre 1975 par le naturaliste belge Jean-Paul Ledant, en Petite Kabylie, dans le Djebel Babor de la chaîne des Babors culminant à 2004 m d'altitude. La présence de la «Sittelle kabyle» (désignée souvent par Sitta ledanti du nom de celui qui l'a découverte) est, disent les spécialistes, naturelle dans cette région d'Algérie et n'existe nulle part ailleurs sur le globe. Le sens ou l'idée de «la découverte», l'origine algérienne et la beauté de l'oiseau ont charmé à juste raison les Editions Alpha pour faire connaître de nouvelles plumes algériennes; songez à cette description que fait un ornithologue de la Sittelle kabyle: «Elle présente un sourcil blanc marqué, le dessus est gris bleuté, le dessous uniformément lavé de beige clair; iris brun-noir, pattes gris plomb, bec gris bleuté.» Une jolie créature, n'est-ce pas? Eh bien, avec Comme un boomerang(*) de Mahmoud Aroua et À l'ombre de tes yeux (**) de Adila Katia, nous voilà dans «le roman à l'eau de rose», sans aucune arrière-pensée péjorative, car il a du sens, son écriture et ses lecteurs. Son objet est de raconter l'amour; au reste, c'est «le roman d'amour» par excellence, le type même de ce que l'on appelle parfois «romance» ou «roman sentimental» ou trop facilement «roman à l'eau de rose». C'est, dit Pamela Regis, la grande spécialiste de ce genre romanesque: «Le genre le plus populaire et le moins respecté.» Nous en avions bien lu, à un moment ou à un autre, dans notre jeunesse; à tout le moins, nous avions feuilleté quelques «romans d'amour» publiés en France par les éditions Tallandier et Harlequin. Cette littérature a donné aussi de grands noms, parmi lesquels Anne et Serge Golon pour leur célèbre série des «Angélique». La romancière espagnole, auteur de romans à l'eau de rose, Corin Tellado serait l'écrivain espagnol le plus lu après Cervantès. Elle aurait publié environ 4000 ouvrages et vendu 400 millions de livres dans le monde au long d'une carrière littéraire de près de 56 ans, ce qui lui a valu d'être inscrite au livre ´´Guinness des records´´. Effectivement, les romans à l'eau de rose se sont vendus à travers le monde à des centaines de millions d'exemplaires. Quel en est essentiellement le contenu? - L'amour avec tous ses «ingrédients»: l'attendrissement, les revirements sentimentaux, l'envoûtement par le rêve, la magie du romantisme sensuel,...Quel en est l'objectif? - Emoustiller les lecteurs en reproduisant «le phénomène socioculturel» le plus basique pour révéler des sentiments et les idéaliser. Aucun artifice ne doit être négligé pour concourir à mettre en relief la vraisemblance des situations. Le parfum de rose doit se répandre partout pour appeler et signifier la constance du bonheur par l'amour. Quelle en est la forme d'écriture? - Lecture captivante et instructive: expression claire, style simple, allure conforme à la nature des sentiments et de l'action, descriptions percutantes,... Dans Comme un boomerang et dans À l'ombre de tes yeux, j'ai cru déceler le même intérêt, le même soin à décrire et à rêver. Mahmoud Aroua, médecin anesthésiste de formation, plaçant en exergue ces vers d'Aragon «Un beau soir, l'amour s'appelle le passé, / c'est alors qu'on se tourne et qu'on voit sa jeunesse» semble ainsi prouver son intérêt à la littérature et à la poésie. Le lieu est le symbole du rêve. Dans la Galerie Omar Racim, des retrouvailles inattendues (ou espérées) ravivent les souvenirs d'une amitié ancienne: Mourad, le narrateur, «professeur d'histoire à la faculté d'Alger», marié, un enfant, «un divorce au bout de deux décades. Une famille non rodée aux aléas de la vie», «un peu de neige sur les tempes.»; «Rose», un surnom qui fait merveille, meilleur que Yamina, car il réveille le passé, et ce nom, annonce le narrateur, sous l'emprise d'une révélation sentimentale, «allait être ma muse pour les semaines à venir». L'histoire est racontée jour après jour, un journal tenu scrupuleusement allant du présent au passé et vice-versa. Deux histoires suivent: «L'homme au balcon» (soutenu par une citation de Racine: «Hélas! qui peut savoir le destin qui m'amène? L'amour me fait chercher ici une inhumaine...») et «J'avais dessiné sur le sable» sur une chanson de Christophe. Rappelez-vous: «J'ai dessiné sur le sable / Son doux visage qui me souriait...» Adila Katia, qui a déjà publié, en 2002, «Le Vieil homme et la belle», nous propose un parfum d'eau de rose d'une fragrance extraordinairement populaire. Au journal Liberté, elle a accommodé bien des essences. Ses lecteurs, essentiellement ses lectrices attendent patiemment ses récits publiés dans le quotidien pour imaginer à leur tour leurs propres sentiments qu'ils vont d'une certaine manière revivre ou développer. C'est un moment de détente, et parfois une aubaine pour exercer un exorcisme sur eux-mêmes. Et par le titre À l'ombre de tes yeux, laisse penser à un roman à l'eau de rose, parsemé d'émotions. Cependant, le sujet traité invite à la réflexion et, par bien d'autres aspects, d'écriture et d'exposition des faits, nous nous trouvons devant la réalité d'une quotidienneté psychosociale incontestable. Il y a de l'émotion extraite de situations authentiques que de nombreuses femmes «risquent» de vivre dans l'actualité aride, harassante, difficile, mais souvent de pardon aussi, de la vie sociale algérienne. L'histoire qu'elle raconte est celle de Besma qui entre dans la vie active. Cultivée, sérieuse, fiancée à Idir, physiquement agréable et devant aider sa famille, elle travaille dans une entreprise dont un responsable, un certain Salim, s'avère le pire des mauvais garçons. Il va la harceler en vain. Le cauchemar, elle le vivra jour et nuit... On lira avec intérêt cette histoire bien que racontée, sans trop d'idées, dans un genre qui échappe aux lois du roman, de la nouvelle, de la chronique, de l'enquête ou l'exercice littéraire. Néanmoins, les personnages manquent d'épaisseur, les dialogues sont souvent plats, peu convaincants, presque pas de présence «dramatisée» au sens de l'action ou de la force d'un destin contraire...Mais, peut-être y aurait-il là, grâce à la culture et à la perspicacité de Adila Katia, une voie nouvelle pour la création d'un genre qui dépasse le roman à l'eau de rose pour installer le genre complexe d'une fiction-réalité-société qui inventerait son territoire et ses voies d'existence. Voire. (*) Comme un boomerang de Mahmoud Aroua, Editions Alpha, Alger, 2009, 95 pages. À l'ombre de tes yeux de Adila Katia, Editions Alpha, Alger, 2009, 109 pages.