Toutes les inventions sont liées les unes aux autres ; elles ne sont pas le résultat d'un curieux hasard historique. Aujourd'hui, au seul constat de tant de moyens - et de leur folle diversité - mis à la disposition de l'homme pour entrer en contact avec son semblable, pour faire le «commerce des biens» ou pour faire le «commerce des âmes», on peut parler d'une société de communication. A ce sujet, par exemple, l'usage actuel du téléphone mobile est de plus en plus considéré comme «la parole donnée» dans une relation d'affaires ou dans une relation privée. Mais «comment s'est constituée notre société de communication?» Patrice Flichy, éminent spécialiste dans le domaine de la télécommunications, essaie de le montrer dans son Une histoire de la communication moderne s- Espace public et vie privée (*). Il s'agit d'un livre important par la précision des références et des sources, par l'exploitation intelligente et pédagogique de toutes ces informations, par la profondeur et la présentation «captivante» des analyses et, aussi et surtout, par les éléments d'histoire sociale et technique (entre le savant et l'ingénieur; entre le commun utilisateur, le technicien et l'entrepreneur; entre l'économiste et l'opérateur de la Bourse, etc.) Tous les grands systèmes de communication sont passés en revue sur un ton de narration qui éveille l'intérêt, invite à la lecture et fait aimer la science et ses multiples applications. Chaque moyen de communication a alors un passé, une présence et un avenir, c'est-à-dire toute une vie que l'auteur étudie à la façon du naturaliste. Ainsi se déroule, presque sous nos yeux, l'histoire de la communication et des télécommunications de ces deux derniers siècles. Patrice Flichy justifie la publication de son essai en ces termes: «De nombreux travaux d'histoire de la technique ne se soucient guère des usages, ou plus exactement font l'hypothèse par défaut que l'utilisation des machines découle tout naturellement de leurs caractéristiques techniques. A l'inverse, certaines recherches de sociologie de la technique s'intéressent uniquement à la diffusion ou à l'appropriation de l'outil et considèrent ce dernier comme une «boîte noire». Le propos de ce livre est justement d'articuler ces deux traditions antagonistes. L'histoire d'une invention est celle d'une série de déplacements techniques, sociaux mais également entre la technique et le social.» Après une histoire détaillée et une étude comparée des machines à communiquer, l'auteur s'attache à analyser la circulation de ces dernières...et toujours «en tenant compte des grands mouvements du technique et du social». L'auteur est amené ensuite «à réfléchir à la genèse des différents systèmes de communication (le télégraphe optique, le télégraphe électrique, la photographie, le phonographe, le téléphone, la radio, le cinéma, la télévision) tout en étudiant les grands mouvements de la technique et de la société». Nous sommes alors invités à une longue et très instructive «promenade» dans un domaine fascinant où invention, technique, société sont liées très étroitement, et peut-être même avec un brin de sentiment assez émouvant, dès que nous entrons dans le secteur de «la naissance de l'électricité, du concept de réseau et de l'enregistrement de l'image», dans le champ des différents usages de ces machines «entre communication professionnelle et commu-nication familiale», et dans la zone «du passage de la communication familiale à la communication individuelle». En outre, sont développées les modalités distinctes du travail de recherche: «celle du savant isolé, du petit laboratoire et du grand centre de recherche». Trois parties ont été indispensables pour conduire cette «genèse»: 1-De la communication d'Etat à la communication du marché (1790-1870), autrement dit, depuis l'usage du télégraphe optique, l'invention des réseaux et l'électricité, et le télégraphe électrique; 2-La communication familiale (1870 - 1930), avec la photographie et le phonographe, puis le téléphone, puis la radio; enfin; 3-La communication globale (1930 - 1990), celle qui vise «la communication intime» grâce à l'individualisation de l'espace public qui permet progressivement la redécouverte du «home», - chose déjà faite avec le transistor (la radio étant devenue non seulement mobile mais individuelle). Et, aujourd'hui, l'Internet, entre autres machines à communiquer via les micro-ordinateurs, favorise aussi cette façon nouvelle de «vivre ensemble séparément»... Une histoire de la communication moderne de Patric Flichy, voilà bien une synthèse copieuse de tout ce qu'il faut savoir sur la genèse de ces multiples innovations soutenues et imposées par les «poussées sociales» qui refusent l'isolement ou l'enfermement.