Un fait assez unique dans les annales des guerres de libération pour ne pas s'y arrêter: la guerre d'Algérie sur le territoire même de l'ennemi. Ce sont les faits d'armes de ces armées de l'ombre, qui ont opéré sur le territoire français, que rapporte dans un récent ouvrage, Abderrahmane Meziane-Chérif, l'un des acteurs de la fameuse opération contre le dépôt de pétrole de Mourepiane en France. Contre la guerre d'Algérie par ses acteurs est un fait assez rare, rapporter des faits d'arme sur le territoire même de l'ennemi, c'est encore plus rare pour ne pas être relevé. Ces mémoires d'une période, souvent méconnue de la guerre d'Algérie, restituent ainsi des parcelles de l'histoire de ce combat pour la libération qui, hélas, reste toujours à écrire. C'est le défit que relève avec brio Meziane-Chérif qui, dans une sorte d'autobiographie, raconte sa participation à la guerre de Libération en France, et délivre quelques aspects méconnus de l'OS (Organisation spéciale) en France, dont il en était un des éléments les plus actifs. Meziane-Chérif avait 17 ans lorsqu'il atterrit en France venant de son El Eulma (ex-Saint Arnaud) natal. Le jeune Meziane-Chérif est rapidement repéré par des responsables de la Fédération de France du FLN qui l'intègrent à l'Organisation spéciale qui menait des opérations sur le territoire de l'Hexagone contre des objectifs économiques et stratégiques français. L'opération de Mourepiane était l'une de ces opérations kamikaze qui ont participé a déstabiliser la France de l'intérieur. Abderramane Meziane-Chérif a été plusieurs fois condamné à mort en France, notamment pour l'opération de sabotage du dépôt de Mourepiane. De fait, «Mourepiane: l'armée des ombres» est un témoignage de première main des actions des fidaïs et des moussebiline opérant en France. Quoique le livre se présente comme une autobiographie, oeuvre difficile tant il n'est pas toujours évident de parler de soi-même et de ses actions sur le terrain. Toutefois, écrit plus d'un demi-siècle après les faits consignés, ce témoignage, le recul aidant, apporte un éclairage inédit sur les opérations de guérilla algériennes en France même. De son El Eulma natal à Avignon en France, le jeune Meziane-Chérif venait de faire un immense saut dans l'inconnu. Mais, comme dit l'adage, «aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années». Lancé dans le feu de l'action, le jeune Abderrahmane Meziane-Chérif montrera des dispositions précoces qui gagnent la confiance de ses chefs qui lui confièrent la mission, combien périlleuse, de l'attaque contre le dépôt de pétrole de Mourepiane, à laquelle il prit part, avec succès, par la destruction de l'un des plus importants dépôts de naphte de la France coloniale. Cette action lui valut la condamnation à mort par la justice de la France coloniale. Il échappa à la guillotine avec la signature des Accords d'Evian du 18 mars 1962 et l'entrée en vigueur du cessez-le-feu le lendemain, 19 mars, dont le 48e anniversaire a été célébré ce vendredi (hier). Abderrahmane Meziane-Chérif a été libéré en mai 1962, dans le sillage des accords de cessez-le-feu sus-cités. Tout au long des 234 pages, Meziane-Chérif livre ses souvenirs de la guerre vécue en France et les premiers mois ayant suivi le 1er Novembre 1954 qui induisit un changement sensible de l'attitude des «pieds-noirs» envers les Algériens. Les premiers chapitres seront d'ailleurs consacrés essentiellement au village d'El Eulma et à son éveil progressif à la chose politique. Les massacres de Sétif du 8 Mai 1945 constitueront pour le tout jeune Abderrahmane et ses camarades, un tournant décisif, d'autant que ces tueries touchèrent également son village situé à quelques encablures de la capitale des Hauts-Plateaux. La vie à El Eulma est devenue étouffante pour les «indigènes». Pour Abderrahmane Meziane-Chérif, l'exil était devenu la solution. C'est ainsi qu'il débarqua un jour en Avignon où commence pour lui une nouvelle vie, où la cause nationale accaparera néanmoins, l'essentiel de ses forces. Il attira rapidement sur lui l'attention des responsables de la Fédération de France du FLN qui l'intégrèrent dans le circuit de la résistance, jusqu'à lui confier des missions de plus en plus dangereuses dont celle demeurée célèbre de la destruction du dépôt de pétrole de Mourepiane. Au fil des pages, Meziane-Chérif consigne au jour le jour ses faits, ceux de ses camarades de combat, les échos de la résistance en Algérie, comme l'annonce de la création du Gpra La Guerre d'Algérie en France; Mourepiane: l'armée des ombres se lit comme un roman de guerre, servi par une écriture fluide. Meziane-Chérif ne fait certes pas oeuvre d'historien, mais ce qu'il rapporte dans ces pages peut, et doit servir à l'écriture de l'histoire de la guerre d'Algérie. Un projet toujours en attente ajourné continûment à des jours sans doute plus propices. Abderrahmane Meziane-Chérif est né en 1938 à El Eulma (ex-Saint Arnaud), dans une famille de patriotes. A son retour en Algérie en juillet 1962, il occupa de nombreux postes de responsabilité dans l'administration naissante de l'Algérie indépendante officiant comme wali de plusieurs wilayas avant d'être nommé, dans une conjoncture plutôt difficile que traversait l'Algérie, ministre de l'Intérieur. Il occupa également des postes de consul général et de représentant plénipotentiaire de l'Algérie en France et en Europe. La Guerre d'Algérie en France Mourepiane: l'armée des ombres de Abderrahmane Meziane-Chérif Edition Edif2000-Publisud 2010