D'objet de distinction sociale, le téléphone portable s'est transformé en produit de large consommation en Algérie. Pas moins de 27 millions d'Algériens sont abonnés à la téléphonie mobile, selon les derniers chiffres avancés par le ministère de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication. Ces chiffres sont révélateurs du grand bouleversement engendré par cet outil de communication incontestablement révolutionnaire. Ce changement radical en Algérie est survenu en 2001. Réservé à une certaine catégorie de la société à la fin des années quatre-vingt-dix, le téléphone portable s'est démocratisé avec une vitesse surprenante dès l'arrivée sur le marché algérien des deux opérateurs privés de téléphonie mobile (l'égyptien Orascom Télécom et le qatari, Watanya Télécom). «Je ne sais plus comment on faisait avant, sans le téléphone portable...», avoue Camélia, une jeune publicitaire. «Ça me permet de rester en contact avec les clients même quand je suis à la maison et également avec ma famille quand je suis au boulot. Je pense que c'est quelque chose d'indispensable aujourd'hui...», ajoute cette jeune fille qui n'est pas la seule dans son cas. Censé apporter une solution aux contraintes de temps, à certaines difficultés liées aux déplacements, ce petit gadget crée une dépendance surprenante. Qui d'entre nous pourrait délaisser, ne serait-ce une journée, son mobile? Cet outil moderne de communication permet aux citoyens d'acquérir une sorte de liberté qui, en revanche, instaure une nouvelle forme d'esclavagisme moderne. «Des chérubins d'à peine 12 ans possèdent un téléphone portable et on n'ose plus leur demander de ne plus les ramener en classe. La situation est devenue intenable dans les établissements scolaires», se plaint une enseignante en langue française dans un collège d' Alger. «La majorité de mes élèves détient un mobile qui est interdit en classe. Mais les parents s'opposent à cette interdiction prétextant que c'est pour pouvoir joindre leurs enfants à n'importe quel moment», poursuit-elle sur un ton témoignant d'un profond désarroi ajoutant que «les parents oublient que ça peut perturber leurs camarades lors du cours, c'est un vrai phénomène maintenant». La dépendance des adolescents à ces téléphones portables suscite de plus en plus l'intérêt des chercheurs et des scientifiques à travers le monde. Pour Karima Megtef Mehali, enseignante et chercheuse au département de sociologie à l'université d'Alger, cet outil confère à cette frange de la société, (les adolescents) une certaine autonomie par rapport à l'ensemble et donc par rapport à leur famille. «Le portable aide à la construction d'une nouvelle conception culturelle, c'est un moyen de jouir des non-dits, des tabous». «On peut dire que cela permet pour les deux sexes d'âge confondus, de niveau, d'appartenance sociale, d'extérioriser leurs émotions, leurs fantasmes dans une intimité absolue». En termes de jeunes «se lâcher» sans règle loin du code moral et loin des barrières sociales. «Le portable en tant que TIC constitue un reproducteur de normes et valeurs sociales», expliquera-t-elle. Cet outil de communication aura également bouleversé les rapports qu'entretient l'individu avec son entourage social. «Le téléphone portable accentue l'individualisation de la personne. Le rapport avec les autres ne s'effectue pas de manière directe, d'ailleurs celle-ci a tendance à disparaître», analyse Hocine Abdelaoui, sociologue à l'université d'Alger. Dans le même sens, Karima Megtef Mehali précise que «la technologie sans fil aide à la construction d'un nouveau réseau de relations et d'échanges qui remplace certaines pratiques lointaines: les réunions familiales ou encore les rencontres entre jeunes gens». L'apparition de ces téléphones dotés de plusieurs fonctions (radio, Internet, appareil photo, montre et calculatrice) modifie profondément le rapport de l'individu au temps. Avec le portable, on peut désormais établir des communications à n'importe quel moment et à partir de n'importe quel endroit. Il y a une sorte de liberté et de rapidité, suscitant un bouleversement de frontière entre la vie privée et la vie publique du citoyen. «Avec le mobile, la vie privée de chacun a plus de visibilité sociale», indiquera Hocine Abdelaoui. Le téléphone portable permet aussi le mélange entre les deux (la vie privée et la vie professionnelle de la personne). Cette transformation sociale de grande ampleur qu'a entraîné l'avènement de cette technologie a donné lieu à de nombreuses études. Sociologues, psychiatres, psychologues et anthropologues se sont penchés sur la question pour étudier l'impact de cet outil de communication sur la vie sociale et privée de l'individu. C'est le cas également en Algérie où des études viennent d'être initiées par des étudiants en sociologie et en sciences de la communication et de l'information. «On commence à s'intéresser au phénomène et à l'étudier», nous fait remarquer le docteur Abdelaoui, qui encadre une thèse sur l'usage des portables par les adolescents. Soit, mais on ne peut plus se séparer de cet outil qui meuble notre quotidien au point que certains vont même jusqu'à se poser la question: le portable est-il un produit de première nécessité?