L'ambiance était très détendue après une semaine d'angoisse et de colère. Les membres de la famille ont exprimé leur joie et leur reconnaissance à tous les visiteurs. Hier à Azrou, les chaînes et l'emprise du temps ont été brisées. La Kabylie ancienne est ressuscitée. Le passé est venu au secours du présent. Après une semaine de captivité, Lounès Ibarar a été libéré la nuit de samedi à dimanche vers 3h du matin. Selon un membre de la famille, son frère et son ami l'ont récupéré au niveau de la localité de Chaouffa à quelques kilomètres de Fréha. Aucune indication n'a été, cependant, donnée sur l'identité de ses ravisseurs. «Ils l'ont retrouvé tout seul avant de le ramener à la maison» voici toute la réponse. Quelques heures après on assistera à une grandiose marche à laquelle ont pris part des milliers de citoyens. La mobilisation allait crescendo. Les villages des Aït Jennad et d'Aït Ghobri avaient décidés que la peur doit changer de camp. Aucune concession aux ravisseurs. Bien au contraire, tout indiquait que la confrontation allait être plus dure. Après Iflissen, Aït Toudert et Boghni, la Kabylie prouve encore une fois qu'aucune force ne peut venir à bout de la volonté populaire et de la société civile. Une ambiance de fête à Azrou Il est midi, il fait une chaleur torride sur la ville de Fréha. La localité est située à quelque 30 km à l'est de la ville de Tizi Ouzou. Se rendre à Azrou, village de Lounès Ibarar, entrepreneur âgé de 33 ans, requiert un peu de patience dans l'arrêt, sous un soleil de plomb, sans aucun abri pour les voyageurs. Celui-ci est perché cinq kilomètres plus haut. Dans l'attente, les discussions donnaient déjà un avant-goût de la situation qui prévaut à Azrou. Les ravisseurs ont libéré leur otage, la nuit. «On va aller rendre visite à la famille de Lounès, et s'enquérir de sa santé» nous informait un homme, la cinquantaine. Le trafic vers Azrou est plus dense que d'habitude. Les fourgons n'arrivent pas à contenir le flux. Sur la route sinueuse qui monte vers le village, les discussions s'animent et convergent vers le même sujet. «Ils l'ont libéré, le rôle de la société civile est très important. Aucune force ne peut venir à bout de la volonté populaire», avons-nous entendu dire une voix à l'arrière du fourgon. «Nous avions déjà programmé une sortie dans la forêt cette nuit. Maintenant, c'est à la cellule d'urgence de décider de la suite», informait un jeune du village d'Azrou qui prenait le même transport. A mesure que nous montions, les piétants se faisaient plus nombreux sur la route. Une seule destination: la maison de la famille Ibarar. Veillée d'armes à la maison de Lounès La foule était dense devant la demeure familiale qui borde la route. L'ambiance ressemblait à celle d'une fête. Les membres de la famille avaient préparé des chaises, des tapis et du café pour les visiteurs. Après avoir décliné notre identité et notre fonction, nous avons été invités à prendre un café. Nous sommes, par la suite, orientés vers un chargé d'accueil. Nous avons échangé quelques propos avec la personne. Une discussion est engagée avec d'autres personnes présentes. «Depuis, le jour de l'enlèvement, la maison n'a cessé de recevoir des visiteurs. Les villageois de la région veillaient avec nous. La maison était toujours pleine de monde», nous confie un membre de la famille de Lounès. «La solidarité n'a jamais baissé depuis une semaine» renchérit un autre. Nous avons demandé à rencontrer la victime. «Il est parti avec son frère et son ami. Il lui fallait changer d'air. Il est en bonne santé mais encore sous le choc. Il ne pouvait pas parler» nous répondait une personne chargée par la famille d'accueillir les visiteurs. Une réunion était programmée pour hier soir à la mosquée du village de Tala Tganna. Elle a été maintenue malgré la libération de l'otage. La participation de l'imam à la marche de samedi dernier est très bien perçue par les populations de la région. «Nous nous sommes toujours réunis dans les mosquées depuis l'enlèvement de Lounès. L'Islam, pour nous, est un appel à la paix. Ça a toujours été comme ça en Kabylie», nous explique le chargé de communication de la famille. En effet, les villages des Aït Jennad se réunissaient dans les mosquées pour décider des actions à entreprendre. Un autre membre de la famille a tenu à faire valoir le caractère pacifique de leurs actions. «Vous avez assisté à la marche de samedi et vous avez constaté le civisme des populations. La marche exprimait une volonté avec le civisme qui a toujours caractérisé notre région» précisait-il. «La mosquée, chez-nous, est synonyme de paix. La religion n'explique pas ces actes. La preuve est que nous attachons une grande importance au rôle de l'imam. Nos réunions se déroulent dans les mosquées. Elles étaient aussi programmées à tour de rôle entre villages», expliquait-il. La solidarité indéfectible des villageois Cette nuit, (la nuit de dimanche à lundi) une virée nocturne est attendue à travers les villages. «Nous démontrerons par cela que les populations n'ont pas cédé à la peur», annonçait un membre du comité de crise. Autre caractéristique inhérente aux villages kabyles et qui se maintient encore: les décisions se prennent au consensus. «Aucune décision ne peut être prise sans l'aval de tous les villages», répondait un villageois à la question sur le sort de cette mobilisation après la libération. Il est juste remarqué à travers les discussions que beaucoup de gens espèrent se fédérer dans une coordination de comité de villages des Aït Jennad et des Aït Ghobri. Enfin, en quittant le village Azrou, les présents s'apprêtaient à se rendre vers la mosquée pour la réunion. L'ambiance était très détendue après une semaine d'angoisse et de colère. Les membres de la famille exprimaient leur joie et leur reconnaissance à tous les visiteurs. Hier à Azrou, les chaînes et l'emprise du temps ont été brisées. La Kabylie ancienne est ressuscitée. Le passé est venu au secours du présent.