Le vécu de ces malades est aujourd'hui très pénible. Amoindris physiquement et moralement, ils se replient sur eux-mêmes dans un réflexe d'autodéfense. «Nous vivons une situation très critique. Nous sommes en danger de mort. Nous implorons les responsables de faire quelque chose.» C'est le cri du coeur de Islam, un jeune Algérien vivant avec le syndrome de l'immunodéficience acquise (sida). Son calvaire, ainsi que celui de la majorité des personnes atteintes du VIH, ne semble pas près de prendre fin. Il s'agit de leur traitement qui est introuvable depuis plus de deux mois. Une situation qui risque de dégénérer alors que les conséquences ne seront que plus dramatiques et pour les malades et pour leur entourage. «En rupture de traitement depuis plus de deux mois, l'état de santé des personnes atteintes du sida est en constante dégradation», regrette, amer, le Dr Skander Soufi, président de l'association Aniss de lutte contre le sida et pour la promotion de la santé. Selon lui, les antirétroviraux Douvir et Setocrin, nécessaires au traitement de ces malades et pris en charge gratuitement par l'Etat, ne sont plus disponibles au niveau des 12 centres de référence du pays. «Cela devient alarmant. Ne pas prendre ce traitement risque de détériorer fâcheusement la santé du malade», prévient-il, mais pas seulement. En effet, «cela augmente également les risques de transmission du virus du sida, notamment aux partenaires». A ce sujet, le Dr Fauci qui dirige l'Institut national de l'allergie et des maladies infectieuses, qui relève de l'Institut national de la santé aux Etats-Unis, a été formel. Les traitements antirétroviraux peuvent aussi constituer une forme de prévention appréciable. «Si vous réduisez les taux du virus chez les personnes touchées, il y a alors beaucoup moins de risques qu'elles le transmettent aux autres», a-t-il affirmé dans un entretien accordé récemment au site America.gov. Plainte pour non-assistance à personnes en danger Preuve en est, plusieurs malades ont saisi deux ONG, à savoir l'Association de protection contre le sida (Apcs) implantée à Oran ainsi que l'ONG Aniss de Annaba, pour introduire des actions en justice. Dans ce qui est devenu «l'affaire des sidéens», ces derniers demandent aux associations de lutte contre le sida de se constituer partie civile. C'est ce qu'a affirmé le Dr Skander dans une déclaration à L'Expression. Il a expliqué que c'est en fait, une action coordonnée entre son ONG et l'Apcs. «Notre collectif d'avocats et de juristes est en train d'étudier cette question», affirme-t-il en lançant «un appel à toutes les ONG de lutte contre le sida pour se joindre à nous afin de trouver une solution dans les plus brefs délais.» A ce sujet, M.Boufenissa, président de l'Association solidarité Aids implantée à Alger, s'est dit à la disposition de toutes les personnes atteintes du sida. «On n'a pas encore été saisis pour déposer plainte, mais si les ONG concernées nous sollicitent, nous répondrons présents», a-t-il expliqué. Cela dit, il a tenu a exprimer ses regrets sur certains points. Selon lui, «cette rupture de stock est due également à l'inexistence d'une coordination nationale entre les différents partenaires pour pouvoir régler ce problème qui se pose avec acuité». Il met également en cause l'absence de statistiques fiables concernant les besoins réels en matière de médicaments. «Et quand elles existent, elles ne sont malheureusement pas transmises à temps pour éviter toute pénurie», déplore-t-il. Aussi, il revient sur les dispositions restrictives de la nouvelle loi de finances. «On est en train de s'isoler», se désole-t-il tout en pointant du doigt également les laboratoires et les firmes pharmaceutiques qui ne respectent pas leurs contrats. Dans ce contexte, il estime qu'«il faut que l'Algérie réfléchisse à diversifier ses sources d'approvisionnement pour ne pas tomber dans le piège des pénuries». M.Djamel Ould Abbès, ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière a, quant à lui, affirmé que les médicaments en question seront disponibles dans les plus brefs délais ajoutant qu'un avertissement avait été adressé à un laboratoire spécialisé dans ces médicaments pour ses lenteurs dans l'approvisionnement. De son côté, le Dr Skander a avancé que la tutelle a promis un déblocage pour la fin du mois en cours ou le début du mois d'août. Seulement voilà, la santé de tous ces malades qui n'ont pas pris leur traitement depuis deux mois leur permettra-t-elle d'attendre encore jusqu'à cette date? Rien n'est moins sûr. Sidéens, silence! la ségrégation est là... Par ailleurs, et comme si cela ne suffisait pas, les malades du sida affrontent un autre problème qu'ils vivent comme un calvaire. C'est l'ostracisme et la ségrégation dont ils font les frais au quotidien. En effet, plus qu'une maladie au sens médical du terme, le sida a mis à nu, de par le monde, une multitude de formes de stigmatisation et de discrimination auxquelles les malades et leur entourage sont souvent victimes. Ces derniers sont privés de leurs droits économiques et sociaux, lorsqu'ils ne sont pas violentés et menacés pour leur vie. En Algérie, si la Constitution, les différentes législations et les déclarations et chartes internationales paraphées protègent les droits de tous les malades sans aucune distinction, les pratiques individuelles quotidiennes de rejet sont souvent enregistrées. Tout d'abord, malades et association s'accordent à dire que l'accès au traitement est un droit sacré mais qui reste toutefois menacé. Le Dr Skander explique: «Le droit au traitement est tout simplement bafoué. Par exemple, des malades se sont plaints de certains chirurgiens-dentistes qui ont refusé de les soigner dès lors qu'ils ont su de quoi ils souffraient.» Dans ce contexte, les récents chiffres des organisations internationales spécialisées placent toujours l'Algérie parmi les pays à faible taux d'accès des malades au traitement. En effet, l'Algérie est classée dans les pays de la région Mena où seulement 7% des malades ont accès au traitement alors que ce taux est supérieur à 30% dans les pays aux moyens financiers limités d'Afrique subsaharienne. Cet état de fait pose des interrogations sur l'efficacité des politiques d'accès au traitement du VIH en Algérie. Malheureusement, de nombreux cas de ségrégation ont été rapportés. «Il y a quatre ans, j'ai su que j'étais atteint du sida et ce, après que ma campagne ait décédé de cette maladie. En rentrant au pays car je vivais en Espagne, j'ai pu me dénicher un poste d'ingénieur en électronique dans une multinationale implantée en Algérie. Après quelque temps, et à cause des symptômes qui apparaissaient sur mon corps, mes responsables se sont rendu compte de ma maladie», raconte Halim, un jeune de 46 ans. Il ajoute, désabusé, qu'à partir de ce moment, ses collègues et ses responsables se sont acharnés contre lui pour le pousser à quitter son poste. «Ils se sont ingéniés à trouver toutes les astuces possibles et imaginables pour contourner la loi. En fin de compte, j'ai dû me résigner et démissionner de mon poste. C'est très dur, et plus dur encore le fait de supporter le regard haineux et les méchancetés gratuites des autres, ceux qui sont en bonne santé mais qui oublient trop souvent que nul n'est à l'abri», raconte-t-il. Aujourd'hui, Halim est une épave, une loque ou plutôt un Algérien qui a perdu tout espoir de pouvoir un jour vivre décemment sans être condamné et renié juste parce qu'il est atteint du sida. Radia, elle aussi, vit toutes formes de ségrégation à travers son fils Moussa âgé de sept ans et atteint lui aussi de la maudite maladie. «Moi-même suis porteuse du virus. C'est mon mari qui m'a contaminée. La première fois que j'ai fait les frais de cette iniquité moyenâgeuse, c'était quand j'ai accouché. Ma famille et celle de mon mari ont appris que j'étais malade. Quelque temps après l'accouchement, mon mari est décédé, et là j'ai été reniée ainsi que mon fils», témoigne-t-elle. Doublement affligée, elle a très mal supporté cette injustice. Elle a même tenté de se suicider, mais la mort tant désirée n'a pas été au rendez-vous. Obligée de prendre son courage à deux mains pour subvenir aux besoins de son enfant, élevé au prix de tant de larmes et de sueurs, elle a frappé à toutes les portes pour avoir «un petit travail». Pis encore, elle a été parfois insultée et violentée parce qu'elle est sidéenne. Mais a-t-elle choisi de l'être? Déception, désillusion et amertume. Aucune âme charitable n'a voulu l'embaucher. Aujourd'hui, elle est réduite à mendier un quignon de pain pour ne pas mourir de faim. Pour ce qui est de la scolarisation de son petit Moussa, elle n'y songe même pas. «Je n'aimerais pas qu'il subisse ce que j'ai subi dans mon âme et dans ma chair», conclut-elle tristement dans un soupir à fendre le coeur. Selon Me A.S., avocat près la cour d'Alger, aucune loi n'oblige une personne atteinte du sida à déclarer sa maladie. Seulement voilà, «c'est le téléphone arabe qui fonctionne chez nous, et plusieurs sidéens ont été, abusivement, pour certain, licenciés de leurs postes de travail, et pour d'autres, exclus de l'école», regrette-t-elle. De ce fait, la sonnette d'alarme est plus que jamais tirée pour attirer l'attention sur les membres de cette frange vulnérable de la société et leur garantir leurs droits en tant que citoyens à part entière. A quand une oreille attentive?