Arabe, berbère et français. Ne demandez pas à Benaïssa de choisir entre ces trois langues. La question des langues en Algérie sera-telle éternellement posée? Tout porte à le croire. En effet, tout comme la problématique liée à l'appartenance religieuse, celle liée aux langues s'incruste dans tous les débats. Même si ceux-là ne leur sont pas dédiés. Mardi dernier, le comédien et metteur en scène Slimane Benaïssa, lors de son passage à la librairie Socrate pour discuter de son oeuvre théâtrale dans le cadre de la soirée ramadhanesque des Mille et Une News, est revenu, justement, sur cette question délicate et dont les conséquences sont parfois même dramatiques. La «paix des langues» qu'il réclame existe dans l'univers intérieur de cet être hybride. Elle reste inconcevable dans la société, à laquelle, il appartient. «Je crois qu'on est très mal parti sur ce problème. On le traîne, d'ailleurs, depuis très longtemps...Je dirais que nous assistons, actuellement, à une guerre des langues. Cependant, chacune est dans son espace et le défend. On fait jouer aux langues des rôles, pour lesquels, elle n'étaient pas destinées. La question des langues devient, de facto, un argument politique tout comme la question de la religion. La chose est toujours néfaste», tranche ce grand dramaturge qui s'est exilé en France à l'orée des années 90, au début de la tragédie nationale. C'est d'ailleurs en France qu'il a prononcé les propos suivants: «Etant le fils d'un pays qui ne cesse de chercher sa paix depuis des siècles, le début de la mienne est dans la paix des langues.» C'était lors d'un discours prononcé à l'occasion de l'obtention de son doctorat à la Sorbonne, en 2005. «Je crois que si nous avions atteint cette paix des langues, il y aurait eu plus de dialogues, il y aurait plus d'échanges. Les espaces d'expression auraient été multipliés...», ajoute-t-il. La pluralité linguistique et donc culturelle. Le hasard de l'histoire nous en a fait don. Elle reste néanmoins honnie par certains. Cependant, cette pluralité n'a jamais constitué un problème pour Slimane Benaïssa. Bien au contraire. Il l'a constamment défendue et ne cesse de la revendiquer. «Mon père, qui était sympathique, m'a appris le berbère et l'arabe dialectal. Un collègue m'a appris l'arabe classique et j'en suis heureux. Les instituteurs, quant à eux, m'ont appris et m'ont fait aimer la langue française. Me demander, aujourd'hui, de tuer l'une des trois en moi, ça serait de tuer une partie de moi-même...», disait Slimane Benaïssa dans un discours qu'il a prononcé à l'occasion de l'obtention du prix Suzanne-Bianchetti de la Société des auteurs et des compositeurs dramatiques en France. Les deux discours, l'auteur de Fils de l'amertume a insisté pour projeter ces extraits de discours afin que l'assistance, venue nombreuse en cette soirée, puisse avoir une idée sur sa relation aux langues, à l'Algérie et à la France. Cet enfant des Aurès y a également projeté quelques extraits de pièces théâtrales, écrites et montées en exil et donc à partir de 1993. La première fut Conseil de discipline créée en 1994 avec, entre autres Sid-Ahmed Agoumi et l'éblouissante Beihdja Rahal. C'est cette pièce d'ailleurs, jouée cette fois-ci en arabe, qui a marqué le retour quelque peu discret de ce monstre sacré du théâtre algérien. Des scènes du Fils de l'amertume, Mémoire à la dérive ou encore Les confessions d'un musulman de mauvaise foi ont été visionnées par le public. «Toutes les religions ont eu leur part de violence», fait-t-il observer après la diffusion des extraits de Les Prophètes sans dieu. Une pièce dont personne n'en voulait au début... jusqu'au 11 septembre 2001. Sur Les Confessions d'un musulman de mauvaise foi, Benaïssa fait préciser qu'il s'agissait d'une expérience extrêmement importante pour lui. Même si le contexte était algérien, ce metteur en scène n'a fait intervenir aucun comédien algérien. «Un Algérien aurait exagéré le rôle, il aurait eu un apport émotionnel», explique-t-il. C'est après la projection des extraits de cette oeuvre théâtrale produite en France que ce dernier a été appelé à parler de son exil. Il évoque avant toute chose ses débuts difficiles. «Je ne connaissais pas le public français. Je me suis posé des questions: qu'est ce que je vais lui dire, à partir de quel légitimité et pour quelle problématique. Connaître le français, ce n'est pas forcément connaître la société française. Il fallait résoudre également le problème de la langue.», confie-t-il. Et de continuer: «L'intérêt de résister dans cet exil est d'être dans la continuité de sa réflexion...».