La dégradation des conditions sociales, la mal vie et l'absence de perspectives pour les jeunes ont conduit bon nombre d'entre eux à envisager la fuite vers le Nord, loin, très loin vers des contrées chimériques, insaisissables pour un bon nombre. «El hedda, el harba», des concepts nouveaux dans le jargon d'une jeunesse laissée sur le pavé par la faute d'un système éducatif qui n'a pas su former les citoyens de demain. Ce désir de fuite vers des horizons plus cléments a généré l'apparition d'une nouvelle forme de trafic; l'émigration clandestine avec ses corollaires, trafic de devises, de visa et autres documents administratifs. Les ports et les aéroports de la région Ouest sont devenus des trappes sur lesquelles «butent» les rêves des jeunes aigris. Il ne se passe pas un jour sans que les éléments de la police des frontières arrêtent des clandestins candidats à la fuite à pas feutrés. L'aéroport d'Es-Senia est devenu infranchissable pour ces parias. Plusieurs jeunes qui voulaient embarquer dans des avions en partance pour la France et pour l'Espagne, munis de faux documents de voyage ont été interpellés. En effet, les passeports, les cartes militaires, les pièces d'identités et même des visas, sont devenus objets de transaction. On peut se payer «ces sésames» moyennant de fortes sommes d'argent. Des jeunes interpellés, il y a quelques jours, et présentés au magistrat instructeur ont fait état d'un vaste réseau de trafic de documents qui a pris en charge l'émigration clandestine. Ses procédés sont très simples. Tout commence par l'acquisition de documents administratifs qui proviennent généralement de vol. Passeports, cartes nationales d'identité, visas et cartes militaires sont alors maquillés au nom du postulant à l'émigration moyennant une forte somme en devises et une autre en dinars. Passé cet écueil, le jeune n'aura plus qu'à prendre l'avion pour Alicante, Madrid ou Paris. Sur place, il restitue les faux documents à un élément du réseau qui se chargera de les rapatrier vers Oran pour servir et encore servir. Récemment, un agent algérien du consulat d'Espagne a été appréhendé pour le motif de faux et usage de faux, trafic de visas et escroquerie. Faisant partie d'un réseau d'émigration clandestine, il confectionnait de faux visas à la commande. Les éléments de la police des frontières au niveau de l'aéroport ont arrêté plusieurs clandestins munis de ces documents de voyage falsifiés. Au cours de leurs investigations, ils découvrirent que ces réseaux avaient des accointances avec les faussaires arrêtés à l'Ouest. Fabrication de faux documents et de fausse monnaie est devenue, de par la conjugaison d'intérêts les deux faces d'une même pièce. Les progrès en matière d'informatique ont permis à ces hors-la-loi de faire des prodiges en maquillage et falsification. Récemment, un jeune homme arrêté à la suite du démantèlement d'un réseau de faussaires avait déclaré que rien ne pouvait l'arrêter. Pour falsifier un passeport, le cachet humide ou le film adhésif qui couvre les renseignements sur la page de garde ne sont pas des handicaps pour lui. Avec de la minutie et un peu de génie, il peut maquiller n'importe quel passeport. Mercredi dernier, une vingtaine de jeunes Oranais candidats à l'émigration clandestine ont été arrêtés. Ces derniers qui voulaient embarquer sur des bateaux en partance pour l'Europe ont été appréhendés par les éléments de la PAF. La majorité de ces jeunes, âgés entre 14 et 17 ans, n'étaient pas en possession de leurs pièces d'identité au moment de leur arrestation. D'habitude, les candidats à «El-hedda» préparent leur coup en se payant les services de passeurs naviguant sur les bateaux à quai. Mais ces derniers temps, l'âge des clandestins a baissé et plusieurs veulent tenter le grand voyage sans s'appuyer sur des complices ou des soutiens à bord. Ils guettent le moindre moment d'inattention des douaniers ou des éléments de la PAF pour se faufiler à bord d'un bateau. Sur place, ils choisissent une cache pour la suite du voyage. Récemment, les gardes-côtes espagnols avaient réussi à intercepter un méthanier à bord duquel voyageaient une vingtaine de clandestins qui furent rapatriés à Oran. L'absence de perspectives d'avenir a conduit plusieurs jeunes adolescents à tenter la fuite vers l'Europe. Il suffit de collecter des renseignements auprès d'un ami du quartier un peu plus âgé, de prendre quelques précautions pour ne pas se faire refouler à l'entrée du port et de tenter l'aventure à partir du port d'Oran. Par les temps qui courent, l'émigration clandestine n'est plus l'apanage de citoyens privés de leurs droits civiques. Même en étant un citoyen net et propre, quand on se voit refuser un visa d'entrée en Europe, on tente la grande aventure quitte à se faire jeter à la mer par des marins sans vergogne ou à se faire refouler aux portes de l'Eldorado.