Dans une conférence au complexe Mohamed-Boudiaf, Jean Ziegler, sociologue et homme politique suisse, dresse un portrait peu reluisant de l'Occident d'aujourd'hui. Peut-on justifier la haine qu'éprouvent des milliers de personnes dans le monde pour un certain Occident arrogant, insolent et parfois même insensible aux malheurs des autres? Certainement. L'éminent sociologue et universitaire suisse, Jean Ziegler, est revenu lundi dernier sur ce sujet qui demeure, pour le moins qu'on puisse dire, d'une brûlante actualité. Cet écrivain a longtemps travaillé sur ce thème. En 2008, il lui consacre même un ouvrage La Haine de l'Occident, publié chez Albin Michel. Au cours d'une rencontre-débat organisée en marge de la 15e édition du Salon international du livre d'Alger, Jean Ziegler fera d'ailleurs la présentation de cet essai qui n'est pas passé inaperçu, il y a deux ans. En altermondialiste invétéré, il livre avec La Haine de l'Occident à ses lecteurs une critique acerbe des puissances occidentales et de l'idéologie qu'elles véhiculent. Ziegler reprend, au cours de son intervention, à son compte le commentaire de Jean-Paul Sartre: «Pour aimer les hommes, il faut détester tous ceux qui les oppressent». «Avant toute chose, il est nécessaire de dissocier deux sortes de haine: la haine pathologique et l'autre raisonnée.», tient-il à préciser au tout début de son intervention. Si la première est destructible, nuisible, injustifiable et même inexcusable, ce n'est pas le cas, de la seconde. En effet, la haine pathologique est celle «qu'on trouve chez les terroristes, une haine qu'il faut absolument condamner», explique-t-il. Par contre la deuxième représente pour l'intervenant une sorte de «force politique». La mémoire blessée des peuples martyrisés du Sud, le double langage de l'Occident concernant les droits de l'homme et l'ordre cannibale sont les principaux générateurs de cette haine. Une haine raisonnée qu'éprouvent des milliers d'individus de par le monde vis-à-vis d'un Occident prétentieux et méprisant. «A la mémoire blessée s'oppose une mémoire aveugle, arrogante et même négationniste de l'Occident.», affirme-t-il. Jean Ziegler illustre ses propos en citant les discours prononcés par le président français, Nicolas Sarkozy, en Afrique. Dans un autre chapitre, Ziegler n'hésite pas à dénoncer le double langage dont usent et abusent les Occidentaux. «Les droits de l'homme ont perdu de leur crédibilité à cause du double langage», affirme-t-il. Nul ne l'ignore, la pratique des deux poids, deux mesures s'est enracinée, au fil des ans, dans la politique des puissances occidentales. Le problème du nucléaire au Moyen-Orient en est d'ailleurs la preuve irréfutable. Les atrocités commises au nom de la liberté et de la démocratie que l'actualité nous donne à voir chaque jour nous révèlent aussi beaucoup de choses. L'auteur de La Faim dans le monde expliquée à mon fils, publié en 2000 aux éditions du Seuil, était également, rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme des Nations unies pour le droit à l'alimentation. Lors de cette table ronde, il est revenu sur ce qu'il appelle l'organisation de la famine dans le monde. Ce sujet fort épineux a fait d'ailleurs l'objet de plusieurs contributions, notamment dans le Monde diplomatique. «Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim dans le monde», fait-il rappeler, tout en affirmant qu'il ne s'agit pas là d'un décès, mais d'un assassinat. Il s'en explique: «Chacune des structures responsables de la faim peut être reversée par une décision politique ou diplomatique». «La production agricole mondiale peut nourrir actuellement 12 milliards d'êtres humains.», ajoute-t-il. Pourtant, des milliers de personnes meurent quotidiennement de faim sous le regard souvent indifférent de l'Occident. Pour lui, les Occidentaux pourraient à tout moment mettre fin à ce qu'il appelle l'ordre cannibale, ils n'en font rien.