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L'Histoire générale d'Algérie
ABDERRAHMANE EL-DJILALI OU LE SOUVENIR D'UN PIEUX HISTORIEN (II ET FIN)
Publié dans L'Expression le 01 - 12 - 2010

La raison est pour Dieu mais le raisonnement pour l'homme qui construit l'histoire de son pays.
L'homme de foi et de réflexion est connu (Lire L'Expression de mercredi 24 novembre 2010, p. 21.). Décédé le 12 novembre dernier, chaïkh Abderrahmane El-Djilali nous a laissé de nombreux articles, publiés dans la presse algérienne et des pays musulmans. On peut dire qu'il a atteint, tout comme les grands hommes d'esprit, le coeur de sa propre religion car il a suivi une vie de pureté, là où la raison et le savoir lui avaient semblé mériter de la vraie religion dont il a parlé avec sagesse et humilité et dont il a fréquemment exprimée aussi le sacré lors de la célébration d'El-Mawlid en-Nabawî à Sîdî Abderrahmane Eth-Tha'âlibî par la traditionnelle hadra en compagnie de son ami, et le nôtre, Ahmed Serri, le maître de la musique andalouse. De fait, l'amour du prochain aurait en quelque sorte conduit notre cher et défunt chaïkh à se connaitre d'abord lui-même: d'où il lui vient de savoir quelles sont ses racines, quelle est son identité. Pendant plus de trente ans, il s'est attaché à faire des recherches sur le passé de la patrie algérienne à laquelle chacun de nous aspire. Or dans une Algérie soumise par les forces administratives et policières coloniales, il n'était pas facile de tenter de reconstituer une histoire aussi sainte que sa foi en islâm, aussi vraie que les rêves des hommes et les vestiges des événements qui, même dans leur prodigieux silence des temps, ont profondément influé sur l'humanité entière. C'est probablement mû par ce songe heureux et lourd, que chaïkh El-Djilali s'est donné à l'histoire générale d'Algérie. Il a agi avec la passion de l'homme de conscience jusqu'à la limite de ses connaissances et de sa lucidité tout en craignant de faire fausse route, de faire erreur, de pécher. Sa volonté n'a pas été de cultiver sa propre et seule identité; l'intérêt de son travail est de nous faire entendre les messages de nos ancêtres rarement objectivement révélés et étudiés. Non que je veuille dire que notre chaïkh y a pleinement réussi, - el-kamâlou lillah, nous l'aurait-il sans doute fait remarquer. On rapporte que dans El Manar, organe du M.T.L.D, daté vendredi 10 juillet 1953, il a confié: «J'ai été poussé à écrire l'histoire de l'Algérie en rapport du manque de clarté qui caractérise cette histoire dans tout ce qui a été écrit jusqu'à maintenant. [...] C'est au début de la Seconde Guerre mondiale que j'en ai ressenti la nécessité. Le monde vivait un grand bouleversement. Je voyais poin-dre l'aube de la libération et j'ai pensé que le pays devait avoir sa véritable histoire.»
Une pensée en formation
Cependant, il a commencé par publier des écrits qui ont surtout été autant d'essais d'une pensée en formation. On connaît de lui des cours et des leçons à l'intention des jeunes musulmans, des psalmodies et commentaires du Saint Coran, des commentaires des ahâdîth, des conférences en des circonstances diverses publiques ou restreintes, des causeries religieuses dans les mosquées, à la radio et à la télévision, mêlant fiqh (science juridique), explications et clarifications de sujets sur la base de références islamiques et historiques hautement authentiques. On retient de lui également des articles sur la morale et la religion parus dans Ech-Chihâb (notamment une étude sur Mohammed Ben Cheneb (1932) et des contributions aux séminaires de la Pensée islamique publiées dans la revue El-Açâla (L'Authenticité) publiée de 1971 à 1981 et dont l'élément essentiel était Mouloud Qassim. On retiendra encore de lui quelques pièces de théâtre sur des personnages et des événements de l'histoire musulmane et ses ouvrages Tâ'rîkh el-moudan eth-thalât: el-Djazâir, Lamdiya, Malyâna (Millénaire de trois villes: Alger, Médéa, Miliana, Alger, 1982 et Alger 2005), Mohammed Ben Abî Cheneb, hayâtouhou wa âthârouhou (Mohammed Ben Abî Ben Cheneb: sa vie et son influence, ENAL, Alger, 1983). Néanmoins, son oeuvre majeure est L'Histoire générale d'Algérie du fait même qu'il l'ait écrite avec la passion d'un devoir sacré à accomplir.
Le premier tome de cette oeuvre est paru pour la première fois à Alger, en 1954, comprenant 410 pages, 6 cartes dans le texte et 6 planches hors-texte. La publication du tome II a suivi en 1955, les deux volumes constituant la première édition. Une 2e édition de ces deux volumes est assurée à Beyrouth, en 1965, une 3e à Alger, en 1971,...L'auteur ne cessera de revoir, corriger et augmenter les éditions suivantes. Il précisera, chaque fois poussé par ses lecteurs, que ces «retouches» ne visent qu'à améliorer le contenu du point de vue de la rédaction, de la clarification ou de la mise au point de certaines considérations d'ordre méthodologique ou de perception plus actualisée par rapport aux «nouveautés» historiques produites par des recherches archéologiques. Mais le fond demeure intact; l'historien conserve la marque de sa pensée et de son intention, tout en rappelant que la perfection appartient au seul Dieu.
En parcourant cette grande oeuvre durable écrite en arabe Ta'rîkh el-Djazâir el-‘âm (Histoire générale d'Algérie (éd. Dar El Oumma, six vol. reliés, Alger 2009, préface du Président Bouteflika), on ne peut qu'être frappé par la profondeur de pensée d'un homme à la fois d'une grande intelligence et d'une grande modestie. Tout autant que dans ses trois ouvrages cités, on retrouve ce qu'a été chaïkh El-Djilali: un chercheur du vrai, un érudit infatigable doué d'une admirable mémoire, un analyste scrupuleux des choses de l'islam, un jurisconsulte éclairé, un historien ouvert aux idées, un écrivain de belle plume, un pédagogue idéal pour enseigner à la jeunesse ce qu'elle doit observer en matière de religion musulmane et connaître tout spécialement ce qui a contribué à former la nation algérienne, c'est-à-dire à former aussi notre conscience morale pour tenir assez à notre patrie.
L'histoire par le sens de l'histoire
Dans Histoire générale de l'Algérie, et dans la droite ligne de l'esprit de ses prédécesseurs El-Moubârek El-Mili et Ahmed Tewfiq El-Madani, il s'est proposé (p. 26), compte tenu de la situation politique de l'époque, «d'inciter le jeune musulman algérien à vénérer son pays, à en glorifier l'histoire rayonnante et grandiose, à avoir confiance en son avenir brillant et éclatant, en lui insufflant l'esprit national, en le préparant à établir des liens entre son présent et son passé.» Je dois rappeler qu'il en a été de même pour Mahieddine Djender qui a écrit dans son Introduction à l'histoire de l'Algérie (SNED, Alger 1968, passim): «Le passé de mon pays, l'histoire de la nation algérienne, me préoccupent [...]. C'est dès 1950, alors que j'étais étudiant, que j'ai formé le dessein d'écrire un jour cette histoire. [...] Loin d'avoir, comme le pense Saadaddine Bencheneb, ´´faussé l'histoire par leurs prises de position´´ (Rev. Afric., 1956), El-Mili, El-Madani, El-Djilali lui ont au contraire évité les écueils de l'objectivisme abstrait, de la doctrine coloniale et du traditionalisme désuet.» Par bien des aspects de formation, de méthode et d'érudition de l'auteur, nous sommes engagés à ouvrir ce livre dont la lecture est aisée par son style et intéressante par les «nouveautés» apportées au traitement scientifique du fait historique. L'auteur n'est plus un conteur d'exploits guerriers ou de vies des rois et des princes, mais un chercheur qui crée ses propres outils d'investigation pour provoquer ou convoquer le passé dans sa réalité vraie. Cela s'explique par cette épigraphe d'Aboul ‘Alâ' El-Ma‘arrî (363-449 H. = 973-1058 J.-C.) qu'il a mise, par scrupule d'historien, en tête de son livre: «Mâ kâna fî hadihi ed-douniâ banoû zaman, illâ wa ‘indî min akhbârihim taraf, La vie de tous ceux qui vécurent en mon temps, est pour moi comme un livre ouvert (Trad. Professeur Mokhtar Mehamsadji).»
Cependant, comme à ses prédécesseurs, on peut reprocher à notre historien le peu de connaissances historiques à son époque, l'absence de critique historique des faits, l'abus des citations poétiques, l'insistance sur des faits peu crédibles, les généralités vagues, l'ignorance de la langue des sources, etc. mais on doit reconnaître que lui et eux ont eu la force convaincante de secouer la science historique coloniale orgueilleuse, aveuglée par son complexe de supériorité. Aussi un essai d'exposition de l'histoire par le sens de l'histoire était-il chose importante à cette époque. L'ouvrage de chaïkh El-Djilali ouvre donc bien largement la porte des horizons lointains de notre passé.
Il y a une vision sereinement conçue suivant un plan bien construit, une exposition claire des faits, des analyses approfondies des périodes et des conclusions où l'opinion du chercheur est très utile mais sans submerger la nôtre.
L'Histoire générale d'Algérie de chaïkh El-Djilali nous instruit de toute façon. Nous commençons à revivre, à travers 2 241 pages, les hypothèses et les réalités de notre pays façonnées par les tout premiers hommes et les suivants qui s'y sont succédé et par les premières civilisations et les suivantes qui y ont passé.
Devoir accompli disons par nos premiers historiens, les défricheurs, les pionniers de l'Algérie par rapport à une époque de confusion et d'idées reçues.
Dans une conférence prononcée à la Maison de la culture de Médéa, le 27 février 1982 et portant sur le savant Mohammed Ben Cheneb, chaïkh Abderrahmane El-Djilali a déclaré avec raison: «L'histoire des nations et des peuples est, en vérité, l'histoire de la vie de ses savants et de ses intellectuels.» J'ajoute avec M.Djender écrivant dans son Introduction à l'histoire de l'Algérie: «... Puisque les historiens français et européens ont avant tout travaillé dans le sens que la colonisation imprimait à leur pensée, il appartient aux historiens algériens seuls, de construire la synthèse finale, la plus valable, celle qui épouse la ligne véritable de l'histoire de leur pays.»
(*) L'Histoire générale d'Algérie de Abderrahmane Mohammed El-Djilali, Dar El-Oumma, Alger, 2009, Six volumes reliés, 2241 pages.


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