Plus de trois mois après le renversement du président Hosni Moubarak, les jeunes militants à l'origine de la révolte égyptienne sont en proie à une frustration croissante face aux nouveaux dirigeants militaires, qu'ils accusent de perpétuer les pratiques du passé. Atteintes aux droits civiques, violences, pressions sur les médias... la liste des griefs s'allonge face au Conseil suprême des forces armées (Csfa), le tout-puissant collège de généraux qui tient les rênes du pays depuis la chute de M.Moubarak le 11 février. L'armée s'est toujours présentée comme la «garante de la révolution» et de ses idéaux de démocratie, et a promis de rendre le pouvoir à un pouvoir civil élu après des élections législatives et présidentielle, en principe mais sans date ferme, à la fin de l'année. Mais la lune de miel avec les militaires, qui avait marqué les débuts de la transition, n'est plus de mise auprès des mouvements de jeunes militants, très actifs sur Internet notamment, qui avaient lancé la révolte en janvier. «Nous rappelons que la révolution a éclaté contre l'oppression et la violation de la liberté d'expression» et que «personne ne doit être au-dessus de la critique», écrit l'une des plus importantes associations civiques égyptiennes, le Réseau arabe pour l'information sur les droits de l'homme. «Aucune nouvelle violation des droits de l'homme ne peut être ignorée dans l'Egypte après la révolution», prévient hier le groupe dans un communiqué. Une vingtaine de groupes pro-démocratie, dont certains très influents comme la «Coalition des jeunes de la Révolution» et le «Mouvement du 6 avril», ont déclaré boycotter une réunion prévue en fin de journée (hier) entre l'armée et les groupes de jeunes, censée rétablir le dialogue. «Nous n'accepterons aucun dialogue alors que se poursuivent les procès de civils devant des tribunaux militaires», ont déclaré dans un communiqué ces groupes qui ont aussi dénoncé des «violations commises par des membres de la police militaire». Un tel dialogue ne peut se tenir tant que des «lois incriminant les manifestations, les grèves, les rassemblements pacifiques et la liberté d'expression, sont toujours en vigueur», ont-ils ajouté. L'armée a toutefois répondu qu'elle continuerait à inviter la jeunesse à la rencontrer, en maintenant la rencontre au nom de «l'importance du dialogue avec le grand peuple égyptien et la jeunesse de la révolution». Une affaire de «tests de virginité» qui auraient été imposés à des manifestantes par des militaires en mars a également refait surface, ternissant l'image positive d'une armée créditée de ne pas avoir réprimé la révolte de janvier/février. Un haut gradé égyptien, s'exprimant sous couvert de l'anonymat sur la chaîne américaine CNN, a justifié de tels tests par le fait que «nous ne voulions pas qu'elles (les manifestantes) aillent dire qu'on les a abusées sexuellement ou violées, donc nous avons voulu prouver qu'elles n'étaient déjà plus vierges». Un responsable militaire a assuré, sous couvert de l'anonymat, qu'il s'agissait «d'allégations sans fondement», mais Amnesty International a dénoncé cette pratique comme «rien de moins qu'une torture», ajoutant qu'elle aurait été imposée à 18 femmes. La suspicion est également montée d'un cran avec la convocation mardi de deux journalistes et d'un blogueur interrogés pendant trois heures par la justice militaire après avoir critiqué l'armée. En avril, un blogueur accusé d'avoir «insulté» l'armée a été condamné à trois ans de prison, un jugement qualifié de «sérieux revers à la liberté d'expression» dans l'Egypte post-Moubarak par l'organisation Human Rights Watch.