Par sa stature, il a été perçu comme une sérieuse menace par les «trois B». Inqualifiable a été la façon avec laquelle Bentobal a justifié l'assassinat de Abane Ramdane. S'exprimant à ce sujet dans les colonnes de notre confrère arabophone El Khabar, «le Chinois» déclare avec une froideur sans pareille: «Abane Ramdane mérite plus que la mort parce qu'il a été un dictateur (...)» Qu'y a-t-il de plus horrible à souhaiter et à faire subir à un être humain, que la mort? Seul Bentobal semble en savoir quelque chose puisqu'il continue aujourd'hui à profaner la mémoire de celui que les historiens nomment le cerveau de la Révolution. Par cet aveu public, le seul survivant des trois B. (Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal) a mis fin à un secret de Polichinelle entretenu pendant plus de quarante ans. A propos du scénario macabre, le «Chinois» relate: «Je me souviens dans ce sens que l'homme était directeur d'El Moudjahid où il publiait des positions stratégiques et précises sur la Révolution (...) On l'a averti sur les dérives qui peuvent résulter de ces comportements. Par son esprit têtu, il poursuivit malgré nos avertissements. Je lui avais dit dans une correspondance: Krim et Boussouf te demandent de cesser tes comportements, car le cours de la Révolution n'est pas aussi simple que tu l'imagines (...) Il n'a pas reculé et après trois avertissements la décision de le juger au Maroc a été prise». Le reste de l'histoire est connu de tous les Algériens. Abane a été assassiné au Maroc par ses pairs en décembre 1957. Bentobal, par son témoignage, semble confirmer que l'assassinat de Abane a été commandité et exécuté par les «trois B». Pourquoi n'a-t-il pas été jugé par le Conseil de la Révolution? Pourquoi n'a-t-il pas été emprisonné au lieu d'une liquidation physique? Les historiens ont rapporté que l'architecte du Congrès de la Soummam, le 20 août 1956, et le promoteur de la primauté du politique sur le militaire et de l'intérieur sur l'extérieur, constituait une sérieuse menace sur les «trois B». Par sa force de caractère, son patriotisme farouche et sa clairvoyance, il était en passe d'éclipser totalement ces chefs, notamment après le succès retentissant du Congrès de la Soummam qui a jeté les véritables jalons de la future Algérie indépendante. Il était donc légitime pour les «trois B». de liquider physiquement cet élément devenu une menace. C'est la rigueur qui l'impose comme dans toute Révolution, estime Bentobal qui déclare dans les colonnes du même journal «La rigueur des ‘‘trois B''. avait permis d'arrimer la Révolution algérienne au port de l'indépendance, sans cela le bateau de la guerre algérienne aurait coulé nécessairement dans les perturbations et les différends». Pour Bentobal, seuls les «trois B» ont conduit la Révolution, oubliant qu'elle a été l'oeuvre de tout un peuple et qu'elle a coûté 1,5 million de martyrs. «Si le peuple était au courant des luttes claniques qui se passaient au sommet, entre les dirigeants de la Révolution: cette dernière n'aurait jamais abouti», déclarait un chef historique. Par ailleurs, Bentobal a complètement démenti les déclarations de Ben Bella selon lesquelles Abane était «un traître». «Si Abane était un traître nous le sommes tous», reconnaît le «Chinois» qui ajoute: «C'est un homme courageux et héroïque au sens propre du terme» Héroïque, courageux, traître, Abane même mort suscite encore une polémique et un débat autour de sa personne et de son rôle indéniable dans la Révolution. Ne sont-ce pas les signes réels de sa grandeur? En tout cas les grands hommes ne meurent pas dans leur lit.