Dans un pays où l'Islam est la religion de l'Etat, mais où aussi la liberté de conscience est reconnue au niveau de la Constitution, l'application de la loi 2006 contre le prosélytisme reste toujours délicate. L'équilibre à trouver n'est pas évident. Le principe de liberté est souvent contrebalancé par un contrôle social de la religion dominante. Le fait est que c'est bien cette loi ainsi que les affaires en justice, liées à la religion, qui ont valu à notre pays des rapports internationaux dénonçant un “recul” des libertés individuelles et une “persécution” contre les personnes d'une autre confession. Bien entendu, le terme est exagéré car on assiste beaucoup plus à des actes d'intolérance que de “persécution”. “Dans notre pays, c'est la société, à travers ses institutions, qui pratique la religion, non l'individu lui-même. Il existe, également, une religiosité et une moralisation intenses de ces institutions, au point de lier la religion à l'identité algérienne”, déclare Abdenasser Djabi, professeur à l'Institut de sociologie de l'université d'Alger et chercheur. À titre d'exemple, il dira que la pratique du jeûne durant le mois de Ramadhan est comme un acte identitaire, d'où l'attachement social pour ce principe de l'Islam comparé à d'autres pratiques de la religion telles que la prière. “Ces institutions qui gèrent cette religiosité de la société, qui ont subi une certaine fragilité, considèrent que la liberté de culte est un danger pour l'identité de la société algérienne”, précise-t-il. Se reconnaître dans tel ou tel courant, c'est aussi et surtout s'identifier à tel ou tel groupe idéologique. “C'est la foi des masses” ; ce qui justifie la difficulté de coexister. C'est le cas de Mohamed R., fraîchement recruté, qui a failli être licencié pour une histoire de jeûne. “Je suis diabétique et insulinodépendant, j'étais en train de déjeuner dans mon bureau lorsqu'un collègue m'a surpris en train de manger durant le Ramadhan. L'information a fait le tour de tous les bureaux et à la fin de la journée, aucun collègue de mon département ne m'a parlé”, témoigne-t-il. Une semaine après, Mohamed a été convoqué par son chef de service pour se justifier. “J'ai dû présenter un dossier médical pour justifier mon acte. Normalement, personne ne doit se mêler de ma pratique religieuse d'autant plus que je ne me suis pas affiché en plein public. J'étais dans mon bureau”, s'explique-t-il. Selon un micro trottoir réalisé dans plusieurs quartiers de la capitale, deux personnes sur trois ont déclaré que la pratique de la religion dépend de la liberté individuelle. “Pourquoi juger des non-pratiquants ou des personnes qui se sont converties à une autre religion ? Ce n'est pas à l'homme de le faire, mais au Bon Dieu ! C'est l'Islam qui dit qu'il n'existe pas de contrainte dans notre religion, car tout dépend de la foi”, indique aâmi Ali un sexagénaire du quartier d'Alger-Centre. Il explique que ce n'est que ces dernières années que la religion est devenue un sujet tabou. “À l'époque du colonialisme, nous avons cohabité avec toutes les confessions, et cela n'a jamais présenté un danger pour notre islamité. Cette intolérance a débuté avec l'islamisme et lorsque la politique, notamment certains partis à l'image de l'ex-FIS, s'est mêlée de la religion”, conclut-il. Hakim, un étudiant à la fac de droit, estime que la cohabitation entre les différents courants de l'Islam est terriblement difficile et que dans toute démarche spirituelle (du moins de l'Islam), la quête personnelle est absente. “On s'engage dans tel ou tel courant comme si l'on s'engageait dans un parti politique”, dira-t-il à propos de la dimension extrémiste dans les religions. “Si je suis musulman, c'est pour sauver mon âme, pas celle des autres, c'est strictement individuel”, ajoute-t-il. N. A.