En tant que président d'une institution versée dans les études islamiques, quel commentaire faites-vous des informations faisant état d'une campagne soutenue d'évangélisation des jeunes Algériens, notamment au sud du pays ? Y a-t-il vraiment de quoi s'inquiéter ? Cette campagne d'évangélisation dont notre pays est l'objet n'est pas la première ni la dernière. Tout au long de l'histoire de l'Islam, les représentants du christianisme ont voulu freiner, d'une façon ou d'une autre, la progression de l'Islam et sa propagation partout dans le monde, surtout dans les contrées où le christianisme était présent. Chez nous, par exemple, les tentatives d'évangélisation n'ont jamais cessé depuis que l'Islam a pris pied sur cette terre, en gagnant le cœur de ses habitants. Le rôle que joua, durant la colonisation, le cardinal Lavigerie pour évangéliser nos compatriotes, pendant les années de famine, est connu de tous. Comme vous le constatez à travers ces campagnes d'évangélisation, certains chrétiens regardent l'Islam comme un rival alors qu'il est venu compléter les religions qui l'ont précédé. Les missionnaires catholiques et autres évangélistes ont-ils le droit de propager leurs religions en Algérie dans le cadre de la loi ? Les chrétiens qui vivent parmi nous ont le droit de pratiquer leur culte en toute liberté sans que personne ne se mêle de leurs affaires. L'Islam reconnaît les religions du Livre et leur garantit le droit de pratiquer leur culte. Il déclare : « Si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais Il a voulu vous éprouver par le don qu'il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. Votre retour à tous se fera vers Dieu. Il vous éclairera alors au sujet de vos différences. » (s.5, v.48). Le Prophète (QSSSL) a dit de son côté : « Celui qui maltraite un homme appartenant à une religion des gens du Livre m'aura comme adversaire le jour de la Résurrection. » Mais l'Islam ne peut accepter que des gens viennent chez lui et insultent notre Prophète et notre foi, en usant de dénigrement et de diffamation, profitant de la détresse sociale de certains jeunes pour les convertir, promettant en contrepartie visas et autres avantages matériels. C'est pourquoi nous avons proposé avec d'autres institutions de l'Etat que des mesures soient prises pour organiser les cultes non musulmans dans notre pays. Cette loi est entrée en vigueur, elle protège les chrétiens qui veulent vivre leur foi d'une façon sereine et met un terme aux activités illégales des évangélistes néo-conservateurs qui ont le vent en poupe depuis l'arrivée d'une administration américaine de cette tendance. Où se situe la limite entre la liberté de conscience consacrée par la Constitution algérienne et le prosélytisme sous toutes ses manifestations ? La limite, c'est celle du respect de l'autre, en s'abstenant de s'immiscer dans sa religion et de la dénigrer. Certains membres – des Algériens convertis – d'associations d'églises dûment agréées par les autorités se plaignent d'être quasiment persécutés dans leurs pratiques religieuses. Ont-ils le droit de pratiquer librement leurs nouveaux cultes ? Nous n'avons aucune information faisant état d'une quelconque persécution dont seraient l'objet des néo-convertis au christianisme, alors que des musulmans vivant à l'étranger ont des problèmes, comme celui du port du voile notamment. Ils sont souvent l'objet de procès d'intention, suspectés et exclus de leur travail, comme cela a été le cas à Roissy (France). Ils éprouvent des difficultés pour bâtir des mosquées en Italie, en Suisse, en Espagne, en France, en Allemagne, au Danemark, en Roumanie, en Grèce... La notion « d'erida » (hérésie) est-elle applicable à ces nouveaux convertis ? L'Islam déclare qu'il n'y a pas de contrainte en matière de religion (Coran, s.2, v.256). Chacun est libre de croire ou de ne pas croire, mais le respect de l'autre et de ses convictions doit être la règle de conduite. L'Islam nous dit : « Ne discutez avec les gens du Livre que de la manière la plus courtoise. » (s.29, v.46). Le Prophète (QSSSL) nous recommande aussi de ne pas nous mêler des affaires des gens du Livre et de leur dire seulement : « Nous croyons en ce qui vous a été révélé et en ce qui nous a été révélé. » Nous attendons des autres religions un comportement réciproque. Quelle est, de votre point de vue, la meilleure façon de contrer ces campagnes de prosélytisme si tant est qu'elles aient véritablement pris une ampleur phénoménale ? Le prosélytisme est condamnable parce qu'il repose sur le dénigrement de l'autre. La liberté de conscience n'autorise pas ce dénigrement. Pour combattre ce phénomène, il est nécessaire de le combattre par la loi qui s'applique à tous. Vous présidez une institution scientifique, ne pensez-vous pas qu'il faille entreprendre un effort d'exégèse dans ce domaine pour éviter les interprétations extrémistes, voire politiciennes, de l'Islam ? Il est évident que nos savants, nos professeurs et nos imams sont appelés à présenter l'Islam d'une façon pédagogique, en le montrant tolérant, pacifique et ouvert au dialogue courtois, tel qu'il est réellement. C'est un message spirituel qui apporte à ses adeptes une vie morale d'équilibre, de sérénité et de solidarité active à l'égard des démunis et des persécutés. Salafisme, wahhabisme, chiisme et maintenant christianisme. Les Algériens sont-ils malades de leur religion au point de tenter tous les « isme », y compris le terrorisme ? L'extrémisme existe dans les trois religions révélées, lorsqu'elles sont mal interprétées. Mais il est le fait de minorités. Il convient de le combattre par l'éducation et la tolérance ; s'il s'étend, on doit le dénoncer et prendre des mesures pour le réduire par des dispositions légales.