Il ne se passe pas de jour sans qu'une ONG de militants des droits de l'Homme, nationale ou internationale, n'appelle à la mise en accusation des dirigeants israéliens devant la Cour pénale internationale, ou autres tribunaux du même nom, pour les crimes abominables perpétrés à Gaza. Les Ligues algériennes des droits de l'Homme, pour une fois unanimes, les avocats arabes et même la FIDH affichent publiquement leur intention de préparer dans l'urgence les dossiers à soumettre à la justice pénale internationale contre les dirigeants israéliens. Assurément, les charges sont accablantes, constitutives de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Mais, si louables et respectables que soient ces efforts déclarés urbi et orbi, ils ne sont pas réalistes en l'état actuel du droit international. C'est que les grandes puissances, singulièrement celles qui disposent du droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, ont organisé leur impunité planétaire, et celle de leurs protégés, comme d'autres débiteurs indélicats organisent leur insolvabilité. Abstraction faite de la justice des vainqueurs qui s'est parfois exprimée pour châtier les vaincus, comme au procès de Nuremberg en 1945, seule une résolution du Conseil de sécurité, prise au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies en cas de menace contre la paix ou de rupture de la paix, pourrait décider de la création d'une juridiction “ad hoc” chargée de réprimer les crimes israéliens à Gaza, à l'image du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie (Tpiy) ou de son homologue pour le Ruwanda (Tpir). Il tombe sous les sens qu'une telle juridiction n'a rigoureusement aucune chance de voir le jour, puisque aussi bien les USA, mais aussi la France et la Grande-Bretagne useraient à coup sûr de leur droit de veto pour réduire à néant une initiative de cette nature. Faut-il le rappeler ? Personne n'a jamais pensé à une résolution similaire pour juger les crimes commis en Tchéchénie, parce que la Russie dispose également du droit de veto, pas plus qu'on n'a sérieusement songé à mettre en jugement, dans le cadre du chapitre VI sus-visé, des responsables américains pour les crimes commis en Irak ces dernières années, que ce soit à Abou Ghreïb, à Guantanamo ou ailleurs. Il en va de même pour Israël, assuré en toute circonstance du soutien et de la protection des grandes puissances occidentales, à commencer par la première d'entre elles. Mais, objecterait-on de bonne foi, point n'est besoin de passer par la constitution d'une juridiction ad hoc, effectivement, impossible, puisque l'humanité dispose depuis juillet 2002, d'une Cour pénale internationale (CPI), créée par la Convention de Rome de juillet 1997. Certes, cette juridiction existe, elle a un statut permanent, mais il faut déjà observer qu'elle a été créée par les Etats qui ont ratifié la convention de Rome, et non pour le Conseil de sécurité des Nations unies. Partant, elle ne put exercer sa compétence que pour (et contre) les citoyens et dirigeants de ces Etats. C'est dire que les dirigeants israéliens échappent à un double titre à la juridiction de la CPI : l'Etat juif n'a pas ratifié la Convention de Rome (et pour cause !), et les victimes de Gaza ne sont pas recevables à saisir la CPI, faute d'être les citoyens d'un Etat qui aurait lui-même ratifié la Convention de Rome, puisque, précisément, il n'existe pas encore d'Etat palestinien. La situation aurait été tout autre à la suite de l'agression israélienne contre le Liban en 2006… Si ce pays avait ratifié la Convention de Rome et ainsi adhéré à la CPI. Les dirigeants israéliens auraient alors payé cher les crimes commis dans le sud Liban, à Tripoli et à Beyrouth. Hélas, le Liban n'a pas à ce jour reconnu la compétence de la CPI, d'où l'impunité assurée pour Israël, même en cas de nouvelles agressions, tenue pour hautement probable par les spécialistes qui soupçonnent l'armée israélienne de préparer sa revanche sur la cuisante défaite que lui a infligée le Hezbollah. Il est vrai que le Liban a l'excuse d'être un petit pays, au centre de luttes régionales acharnées, qui a donc besoin de ménager les USA dont tout le monde sait qu'ils livrent une lutte sans merci à la CPI. Mais les autres pays arabes ? On relèvera seulement, qu'hormis la Jordanie qui a participé à la naissance de la CPI pour avoir compté parmi les soixante premiers Etats à avoir ratifié la Convention de Rome, ils répondent tous aux abonnés absents… Ultime observation sur cette juridiction, le Soudan n'a pas ratifié la Convention de Rome, ce qui n'empêche pas son président d'être sous la menace d'un mandat d'arrêt international envisagé par le procureur de la CPI pour les crimes commis au Darfour. Loin d'être une entorse à la règle, dégagée ci-dessus à propos de l'impunité d'Israël, cette procédure en est la parfaite illustration. En effet, outre les moyens classiques de saisine (plainte des victimes “agréées” et initiative du procureur pour les crimes soumis à la compétence de la cour), le statut de la CPI prévoit sa saisine exceptionnelle… par le Conseil de sécurité agissant comme pour la création de juridiction ad hoc, au titre du fameux chapitre VII de la Charte des Nations unies. Autrement dit, la CPI a reçu compétence du Conseil de sécurité pour connaître des crimes commis au Darfour. Ce qui signifie en droit qu'elle ne saurait connaître des crimes commis à Gaza que si et seulement si les USA (ou la France, ou la Grande-Bretagne…) n'opposaient pas leur veto à un hypothétique projet de résolution dans ce sens. Pour autant, les victimes et les ONG des droits humains pourraient-elles mettre à profit la fameuse “compétence universelle” qui autorise les poursuites contre n'importe qui, pour des crimes majeurs commis n'importe où ? La prude Belgique s'y est essayée la première, avec la spectaculaire contamination de quatre Ruwandais à raison de crimes contre l'humanité commis dans leur pays. Courageux mais pas téméraire, ce petit pays européen a freiné des quatre fers quand les victimes de Sabra et Chatila ont tenté de s'engouffrer dans cette brèche contre l'impunité universelle, en déposant une plainte contre leur bourreau Ariel Charon. Ajouté à une action intentée contre le président Bush et son ex-ministre de la Défense Rumsfeld, cette plainte a vite ramené la Belgique à la raison… d'Etat. Sans renoncer à la compétence universelle, elle l'a exclue… pour les Etats démocratiques, réputés capables de juger leurs propres criminels. Il suffisait d'y penser, puisque, bien sûr, Israël est un Etat démocratique. On a simplement feint d'ignorer que c'est un Etat démocratique pour les juifs, mais juif pour les Palestiniens, comme la France était un Etat démocratique (pays des droits de l'Homme et du citoyen s'il vous plaît) pour les Français, mais colonialiste pour les Algériens. D'autres pays ont fait une incursion dans la compétence universelle, comme l'Espagne ou le Canada, mais il en sera pour eux comme il en a été pour la Belgique. Il ne faut surtout pas confondre un vulgaire Pinochet déchu ou un quelconque Africain, avec un officiel israélien… La chose va sans dire, mais elle va mieux en la disant : aucun pays arabe n'a songé à ce jour à enrichir son arsenal juridique avec l'introduction de la compétence universelle, si bien que n'importe quel criminel de guerre israélien pourrait choisir le pays arabe de son choix pour y faire du tourisme sans risquer aucune poursuite. Au bout de cet inventaire par défaut de tout ce qui ne peut être fait pour sanctionner les horreurs de Gaza, on aura compris qu'Israël ne court aucun risque à s'assumer comme Etat littéralement hors la loi internationale. Il reste que les condamnations politiques et morales ne sont pas rien, comme la récente résolution du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, les admirables initiatives diplomatiques du Venezuela et de la Bolivie ou, tout prosaïquement, les manifestants qui battent les rues du monde entier pour exprimer leur solidarité avec la population martyre de Gaza. Je me souviens qu'un certain tribunal Bertrand Russel, composé de hautes personnalités morales, à l'image du sus-nommé et de Jean-Paul Sartre, a sérieusement ébranlé les certitudes américaines au Viêt-nam. À quand une juridiction de même nature pour Israël ? Les militants des droits de l'Homme gagneraient à s'y employer. M. B.