Le verdict sera connu dimanche prochain, et tout semble plaider pour la relaxe des six accusés dans l'affaire Protection civile-Elsecom. Le procès en appel des cinq cadres de la Protection civile et du P-DG d'Elsecom-Ford s'est déroulé à la cour d'Alger, dimanche en fin de journée, et ne s'est terminé qu'à minuit passé. Après plus de sept heures d'audience, la présidente de la cour a annoncé que le verdict sera connu “dans une semaine”. Le procureur avait, de son côté, requis la peine maximale pour les six accusés. Pour rappel, le procès concerne l'affaire des 120 ambulances opposant la Protection civile à l'entreprise Elsecom-Ford (le contrat a été signé entre les deux parties vers la fin 2005). Le procès intenté par l'institution étatique s'est déroulé, après avoir été renvoyé à deux reprises, le 31 mai dernier et le verdict est tombé moins d'un mois plus tard. Le 21 juin dernier, la justice avait tranché avec trois condamnations, allant de deux à trois ans de prison ferme, en plus d'une amende de 200 000 DA pour chacun, et de deux relaxes. Les trois condamnés sont deux cadres de la Protection civile et le P-DG de Ford-Algérie. Ce dernier, A. A., a été condamné à une peine de deux ans fermes pour “obtention d'avantages injustifiés” et “passation de marché avec l'Etat”. M. H., lui, a été condamné à 3 ans fermes pour trois chefs d'inculpation : “passation de marchés contraire à la législation”, “octroi d'avantages non justifiés” et “trafic d'influence”. L'inspecteur général, M. K., a été condamné de son côté pour “passation de marché contraire à la législation avec complicité dans l'octroi d'avantages non justifiés”. Un peu plus de six mois après, voilà que presque tous les protagonistes se retrouvent devant la cour. Cette fois, ce n'est pas au tribunal de Bir-Mourad-Raïs, mais à la cour d'Alger et devant une magistrate dont c'était le premier jour d'activité sur les lieux. La différence entre ce procès en appel et celui qui s'est déroulé il y a plus de 6 mois ne se limite pas seulement à un changement de lieu ou de magistrate ou encore d'avocats. Même s'il n'était pas présent sur place, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, fut bel et bien la “star” de la soirée. Pas en tant que personne physique évidemment, mais par ses dernières directives sur la passation de marchés publics. Il s'agit de l'instruction datée du 22 décembre sur les “dispositions du décret présidentiel n°02-250 du 24 juillet 2002, amendé et complété, portant réglementation des marchés publics”. En particulier les articles 11 et 19 qui mettent l'accent sur la priorité des entreprises algériennes sur leurs homologues étrangères. Une nouvelle donne qui est venue remettre en cause les “atouts” de l'accusation. Le collectif d'avocats de la défense dirigé par Me Bourayou et Me Amar Yahia n'a pas raté cette “brèche”. Ce dernier, qui a indiqué avoir été “consulté en 2002” lors de l'élaboration du code des marchés publics, a essayé de décortiquer les chefs d'accusation tout en y répondant et parfois avec fracas. “C'est bien une étrange affaire. Il y a de la mauvaise foi dans cette accusation”, a-t-il dit devant la présidente de la cour avant de s'étaler sur “la conception évolutive des contrats”. Il ira jusqu'à comparer les mesures d'accompagnement des contrats avec les caisses noires : “J'ai été dans l'administration et je sais comment ça se passe. Dès le 1er janvier, ces caisses noires disparaissaient comme par enchantement.” De son côté, Me Bourayou a axé sa plaidoirie sur le choix de la Protection civile de ses fournisseurs après avoir résilié le contrat, montrant, avec documents à l'appui, que les prix des deux sociétés françaises choisies depuis 2006 pour la fourniture d'ambulances dépassaient de presque le double ceux proposés par Elsecom-Ford en assénant : “El hogra, parce qu'il est Algérien.” L'avocat rappellera que l'une des raisons invoquées par la Protection civile pour la résiliation du contrat était “le non-respect des délais”. À cela il rétorquera par des questions : “Qu'on m'explique pourquoi on a donné un délai de 120 jours à Elsecom-Ford pour la livraison de 120 ambulances, alors que Renault a eu 18 mois et 12 mois ?” Allant dans le même sens, Me Imessaoudene Aderkichi Saliha a mis sur le tapis le revirement sur le choix du fournisseur. “Pour la première fois qu'un fournisseur algérien prenait un marché local” de la Protection civile. Le collectif des avocats a également rappelé que tout le procès était basé sur un contrat qui n'a “même pas été exécuté” et que la Protection civile n'a pas perdu d'argent, “au contraire, c'est notre client qui en a perdu puisque ses cautions (ndlr : 4,2 milliards de centimes), il ne les a même pas récupérées !” Même si le terme n'a pas été utilisé, tout indiquait qu'il s'agissait d'accusations contre des lobbies qui soutiendraient des entreprises étrangères au détriment des algériennes. Un dossier explosif que personne ne semble vouloir toucher, mais dont les retombées néfastes sur l'Algérie sont, de l'avis de beaucoup, plus que préoccupantes. Sur le déroulement du procès, les six accusés ont été entendus en plus de six témoins. Parmi ces derniers, le président de la commission d'audit, dont le rapport a été à la base de la résiliation du contrat, s'est étalé sur les griefs retenus contre Elsecom en répétant : “Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez. Je suis très à l'aise sur ce dossier.” Cependant, au fil des minutes et devant les questions pertinentes et précises des avocats de la défense, il a commencé à balbutier avant de lâcher un surprenant : “Oui, on est allé (ndlr : au siège d'Elsecom) pour espionner.” Devant la stupeur des défenseurs des accusés, il joindra un : “Oui, oui, pour mon pays je suis prêt à espionner.” Me Bourayou réagira, avant d'être rappelé à l'ordre par la présidente de la cour : “Il n'a pas de parti pris, il a un parti tout court.” De son côté, la partie civile semblait bien mal à l'aise dans ses plaidoiries. Au fil des heures, beaucoup de zones d'ombre paraissaient s'éclaircir devant tous les présents. La présidente de la cour, qui a dirigé le procès en main de maître en axant ses interventions sur des angles plus que “pertinents”, répétait à plusieurs reprises : “Je fais tout mon possible pour arriver à atteindre la vérité pour laquelle on est ici.” Dimanche prochain, les six accusés connaîtront leur sort. Salim Koudil