L'auteure et journaliste Nadia Khouri-Dagher raconte, dans cette interview, son abécédaire, “Hammam et Beaujolais” (paru lors du dernier Sila aux éditions Lazhari Labter), et dit son enracinement dans la culture orientale et les questionnements sur l'intégration qui l'habitent. Liberté : D'où est venue l'idée d'un abécédaire ? Et sur quelles bases a été fait le choix des mots ? Nadia Khouri-Dagher : L'idée est venue de mes éditos dans Yasmina où je résumais le titre à un mot, et qui faisaient 2 000 signes, soit une feuille A4. Je dis toujours : “Je suis journaliste, je sais écrire de courts textes, je ne sais pas écrire de livre.” Et c'est parti comme ça ! J'ai aligné de courts textes, les uns après les autres... Et puis cet abécédaire, c'est aussi un clin d'œil à mes ancêtres phéniciens, puisque je suis Libanaise, et qui ont inventé l'alphabet dont l'étymologie, comme chacun le sait, est “aleph, bê, tê, thê...” Cet alphabet a permis d'inventer l'écriture sans laquelle vous ne seriez pas là à me poser ces questions et sans laquelle vous n'auriez pu me lire ! L'alphabet est sans doute l'une des plus importantes inventions de l'univers. Il a permis de consigner découvertes et savoirs et a donc permis à l'homme d'avancer en savoirs, en techniques, en humanité, j'espère, lorsque nous lisons des textes émanant d'autres civilisations... Le choix des mots s'est fait a posteriori. J'écrivais les textes et je leur trouvais un titre en un mot. Le défi a été de trouver des mots couvrant les 26 lettres de l'alphabet, de A à Z. Il y a certainement de bonnes raisons pour que vous n'aimiez pas le mot “intégration”. Quelles sont-elles ? Je n'aime pas le mot intégration car il sonne trop “technique” pour moi. Parlait-on d'intégration quand les pauvres migrants européens partaient par millions s'installer en Amérique du Nord ou du Sud ? Non. On parlait d'émigrants, tout simplement. Intégration, ça fait “effort pour s'intégrer”, ou plutôt “faites un effort pour nous ressembler”. Alors que dans émigrant, j'entends “douleur de partir, de quitter son pays, de tout abandonner, douleur de se sentir seul parfois en terre étrangère, douleur d'apprendre une autre culture”. Le titre original a failli être“ L'Apprentissage”… de la France. Il faut parler de la douleur de l'émigration, dont personne ne parle, car comme émigrant ou enfant de migrants on vous dit, et on me l'a dit une fois : “Tu as la chance d'être en France, alors tais-toi !” Mais non ! C'est peut-être une chance d'avoir fui des pays pauvres ou qui ont été en guerre comme le Liban, l'Algérie, le Rwanda ou la Côte d'Ivoire, mais c'est aussi une douleur, celle de l'exil. Si la culture et la religion, notamment musulmane, avaient un rôle, quel serait-il ? Pour moi, la culture est la seule arme contre la barbarie. La culture, c'est pouvoir comprendre l'autre, le point de vue de l'autre, s'ouvrir à d'autres opinions. Et je suis une irréductible optimiste, car je pense, malgré toutes les horreurs que le monde vit toujours, que l'humanité avance doucement… en humanité, par cette ouverture aux cultures des autres. L'islam, j'y consacre l'un des textes du livre. Bien que chrétienne, je dis que l'islam m'appartient, car je suis née en terre d'islam, et que nous, chrétiens ou juifs nés dans ces terres d'islam, Afrique du Nord ou Moyen-Orient, nous partageons une culture commune avec nos cousins musulmans. Si on regarde les cultures côté femmes, comme je le fais, on trouve que le plus important, c'est la culture du quotidien, qui est semblable, dans un point géographique donné, quelle que soit la religion ! Les différences de religion, c'est un point de vue d'homme, un point de vue masculin, un point de vue politique. Or les femmes, c'est le point de vue du quotidien ! Et là-dessus, nous avons beaucoup plus de points communs que de différences ! S. B.