Hier matin à l'entrée du service infectieux, des familles attendaient l'heure de la visite. Nous avons remarqué la présence de deux jeunes hommes qui appelaient leur frère hospitalisé au deuxième étage. Celui-ci, de la fenêtre, et apparemment en bonne santé, demandait si on lui avait bien ramené à manger ! En fait, c'est l'un des patients atteints de la peste et hospitalisés depuis le 9 juin. Les deux autres sont ses frères qui, ce matin, “ont fait le mur à Kahaïlia” pour venir s'enquérir de son état de santé. Le douar est pourtant mis en quarantaine pour une durée de 12 jours ! Comment ont-ils pu passer ? “Nous sommes du coin, nous connaissons les chemins qu'il faut… Ici on ne peut pas voir notre frère… mais il va bien, il a juste un peu faim !”, nous rétorque l'un deux. Nos deux interlocuteurs racontent que les premiers jours, c'est-à-dire jeudi et vendredi, les autorités leur avaient fait parvenir de l'eau minérale et du pain. “Mais nous avons besoin de nous approvisionner en légumes et en lait pour les enfants…” Depuis vendredi, les employés de l'APC sont à pied d'œuvre pour nettoyer et désinfecter le douar où vivent 3 à 4 grandes familles, soit à peu près 1 200 à 1 300 personnes. Les deux jeunes nous le confirment. Mais après avoir entendu leur témoignage, nous découvrons comment cette épidémie de peste a pu se déclencher dans le douar. En effet, sur place, de nombreuses familles pratiquent l'élevage de volailles : “Il y a eu des poules qui sont mortes ces derniers temps, cela arrive souvent en été, alors on les jette juste dans les environs…”, explique l'un de ces habitants du douar qui poursuit : “Il y a eu aussi des chiens errants qui ont été abattus, il y a une dizaine de jours, et personne n'est venu ramasser leur cadavre…” Cette situation nous sera confirmée par un médecin qui connaît bien ces zones rurales. “Des éleveurs de volailles de chair placent leurs poules dans des hangars. Avec les chaleurs et sans moyens adéquats, beaucoup meurent. Et quand elles ne sont pas incinérées, chose très grave mais qui arrive malheureusement très souvent, les lieux deviennent un vivier pour les rats.” Quant à l'évolution de l'épidémie, un communiqué du Chuo affirme qu'aucun nouveau cas n'a été enregistré depuis jeudi matin. Les deux malades ayant développé la peste septicémique — au départ une peste bubonique qui s'est aggravée — ont vu leur état s'améliorer nettement. Tous les malades vont devoir rester encore en observation une dizaine de jours, avons-nous appris de sources médicales. Quant à la question de savoir si un deuxième foyer existerait à Oran, le communiqué du Chuo tranche la question puisqu'il affirme que la patiente de Boulanger avait séjourné précédemment à Kahaïlia. Mais le risque de voir des cas apparaître en dehors de Kahaïlia demeure encore réel. Il semblerait, en effet, que de nombreux citoyens d'Oran se rendent souvent dans ce douar pour la bonne raison qu'un “taleb” de renommée y pratique “sa science”. Donc, la vigilance reste de mise. D'ailleurs, le ministère semble avoir réagi promptement pour une fois, en faisant parvenir au Chuo des bandelettes de diagnostic qui permettent en seulement 15 min de diagnostiquer la peste. Les médecins savent pertinemment qu'un traitement doit être administré dans les plus brefs délais avant que la peste bubonique n'évolue en peste septicémique. F. B.