Le mythe de l'Algérie, grenier à blé de Rome, continue de sévir en provoquant plus de ravages que de raisons de fierté chez la plupart des gens, et durant trop longtemps, hélas, chez les décideurs du pays. Il a bien fallu pourtant se rendre à la peu reluisante évidence que l'Algérie importe toute sa nourriture à partir de l'étranger pour des raisons d'ordre structurel que l'ouvrage de Hamid Aït Lamara tente de cerner, qu'il s'agisse de contraintes climatiques, physiques ou agronomiques lorsqu'elles concourent à renforcer la dépendance du pays dans ce qu'il a d'essentiel, sa sécurité alimentaire. Les chiffres avancés sont effarants dans leur cruelle nudité et permettent d'avoir une idée de la dégringolade continue sur la pente de la dépendance depuis le début du XXe siècle à nos jours. En effet, si la production de céréales et de cultures vivrières atteignait 350 kg/personne au début des années 1900, elle n'est plus que de 100 kg au cours des années 1990, et à 80 kg durant les années 2004-2005. Cette inexorable descente aux enfers de notre agriculture, même si on peut toujours en pondérer les chiffres en fonction de la population totale durant les périodes considérées, n'en laisse pas moins d'inquiéter. Le début du déclin se situe d'ailleurs vers la fin de l'occupation coloniale puisque dès 1959, l'Algérie importait du blé et cette situation n'a jamais cessé de se dégrader pour faire du pays l'un des premiers importateurs de blé dur du monde, de lait, d'huile, de sucre, de viande rouge, etc. En 2008, la facture alimentaire a atteint des sommets avec un chiffre à donner le tournis, soit plus de 8 milliards de dollars américains payés au titre de nos besoins alimentaires. Et si les revenus des hydrocarbures déclinaient, comment fera-t-on pour nourrir la population ? Les changements climatiques, la reconversion d'une partie de la production agricole en carburants verts, la spéculation ont déjà donné la mesure de ce que serait la note à payer par les pays dépendants de l'étranger pour leur nourriture, dans un avenir proche : la tonne de blé qui coûtait 120 euros en 2006 revenait à 300 euros en 2007. Les politiques publiques des pays qui encourageaient traditionnellement leur agriculture nationale sont en train de changer, sous le coup des décisions de déréglementation dans le cadre des accords de l'Uruguay Round ou de l'OMC : la décision d'accorder moins d'aides et de subventions aux agriculteurs pousserait ces derniers à recourir plus souvent, et sur de plus grandes superficies, à la mise en jachère de leurs terres, parce qu'ils n'auraient plus intérêt à produire plus. La Tunisie et le Maroc ont réussi à réduire leur dépendance à l'étranger dans le secteur de la production laitière, en réduisant les surfaces mises en jachère pour les affecter à la production de fourrages. La Tunisie a réussi à exporter du lait en poudre ou cru, qu'elle propose à l'Algérie, avec laquelle elle partageait, il y a 12 ans à peine, le peu reluisant statut d'importateur net de lait et de produit laitiers.L'occupation des terres ou leur détournement vers le béton de l'urbanisation anarchique ou l'industrie constitue un drame et peut-être un crime. Le morcellement des exploitations constitue aussi de son côté un obstacle important à la mise en œuvre d'une politique de mécanisation optimale. Les exploitations agricoles possèdent pour la plupart des superficies égales ou inférieures à 5 hectares. Or, la culture céréalière exige des superficies beaucoup plus importantes afin d'assurer la rentabilité des équipements agricoles. L'ouvrage dont le titre est voulu comme un questionnement, une inquiétude assumée, est un condensé des problématiques toujours en suspens dans les agricultures du monde et le devenir alimentaire de l'humanité confrontée à des idéologies mercantilistes, sous le couvert de liberté. L'étudiant, comme l'enseignant pourront y trouver leur compte, en s'abreuvant à la riche bibliographie citée en référence à la fin d'un ouvrage écrit dans un style alerte et sans l'ennuyeuse pédanterie, trop souvent affichée en guise de sérieux, par les doctes donneurs de leçons. Le livre du Professeur Hamid Aït Lamara (enseignant chercheur), même s'il affiche un ton pessimiste et grave, eu égard aux données objectives dans lesquelles se débat l'agriculture nationale laisse, malgré tout, ouverte la porte de l'espoir. Le problème qui consiste à tenter, chaque jour, de trouver la subsistance quotidienne, n'est pas nouveau et sa solution ne peut être uniquement agricole. Il est essentiel que l'Algérie réussisse son décollage économique en s'appuyant sur une politique de développement durable qui intègre l'environnement, l'agriculture et l'industrie, dans l'harmonie d'une vision globale qui ne sacrifierait aucun des composants de ce triptyque. Et cela relève, pour l'essentiel, de la sphère de décision politique. Synthèse de D. Zidane *Quel futur alimentaire pour l'Algérie de Hamid Aït Lamara, (140 pages, février 2009), publié dans la collection Perspectives par les éditions de la librairie Mille-Feuilles