On continue de cultiver les paradoxes. Face aux enjeux touchant la souveraineté nationale, on assiste à une bureaucratie qui semble s'amuser à ne pas réunir de consensus sur des solutions structurelles salutaires pour l'économie nationale. la stratégie industrielle n'a pas été encore adoptée en Conseil des ministres, a affirmé Ahmed Ouyahia mercredi dernier lors d'un entretien accordé aux radios nationales. Le dossier engagé en 2007 traîne donc. Le Premier ministre a ajouté que cette stratégie est restée au stade de théorie. Cette conclusion est à décoder surtout sous l'angle politique. À la veille de l'élection, Ouyahia veut s'afficher comme l'architecte de la politique menée actuellement en fonction bien sûr des orientations du chef de l'Etat et à contre-courant de celle prônée par Temmar. Ce virage dans la conduite de la politique économique se décline ainsi : retour à un rôle plus important de l'Etat dans l'organisation et la régulation de l'économie, contrôle par les entreprises locales des sociétés privatisées et des investissements directs étrangers, taxation plus importante des profits des sociétés étrangères implantées en Algérie. Cette nouvelle orientation tourne le dos donc à une conception de l'économie livrée aux forces libres du marché et à une égalité de traitement entre investisseurs. Un tel discours protectionniste, notons-le, intervient à la veille de l'élection présidentielle. Il a ses vertus. Il peut séduire une masse de citoyens en un mot, ratisser large lors du scrutin. Mais au-delà de cette surpolitisation de l'économie, se posent des questions de visibilité en termes de cadre général de l'économie. La stratégie industrielle étant remise en question, l'Algérie n'a pas ainsi de façon globale une politique claire de diversification de son économie. En attendant, les importations ont atteint la cote d'alerte : près de 40 milliards de dollars en 2008. La dépendance à l'égard de l'extérieur est devenue une question de sécurité nationale. L'Algérie dépend trop de l'étranger pour son alimentation, ses biens de consommation courante (médicaments, textiles, rond à béton, bois…), ses équipements et ses services. Entre autres raisons, l'industrie ne participe à la richesse nationale qu'à hauteur de 5%. L'agriculture, le bâtiment, les travaux publics font beaucoup mieux. La stratégie industrielle vise justement à inverser la tendance. Elle s'articule particulièrement sur l'émergence de 13 champions nationaux, leaders de leurs secteurs, ayant un potentiel à l'exportation susceptible de tirer l'économie nationale vers le haut. Les filières sont déjà ciblées : industrie mécanique, électronique, pharmacie, mines, pétrochimie, agroalimentaire, bâtiment et travaux publics, matériaux de construction, engrais, services… La liste des champions est déjà esquissée : Snvi, Enie, Saidal, Air Algérie, Enmtv, Ferphos, Asmidal, les groupes publics de cimenterie, Snta, Cosider… Une première liste de 9 champions a été soumise au gouvernement pour approbation. Ces entreprises constitueront des noyaux à partir desquels se développeront des secteurs sur lesquels compte le pays pour garantir une croissance forte et durable de son économie. Autour de ces champions graviteront des réseaux de PME et de sociétés de sous-traitance locales favorisant une plus grande intégration de l'industrie nationale. Ce modèle s'inspire de l'expérience de développement sud-coréenne où 4 à 5 conglomérats tels que Samsung, Hyundai, LG tirent l'économie de ce pays vers le haut. En somme, la panoplie de mesures pour encourager la production nationale et diminuer les importations n'a pas encore eu des effets sensibles sur l'industrie. Les opérateurs attendent toujours la mise en œuvre de la stratégie industrielle. Paradoxalement, face à cette dangereuse désindustrialisation du pays, les pouvoirs publics restent lents à approuver ce programme de ré-industrialisation et à traduire sur le terrain cette nouvelle politique mettant l'industrie locale en avant plan. En un mot, le consensus sur cette stratégie ne s'est pas encore dessiné. Le comble, c'est qu'après presque une décennie de gestion sous le mandat du chef de l'Etat, l'Algérie n'a pas encore une politique claire de ré-industrialisation du pays. Bien sûr, et comme toujours, ce sont les simples citoyens qui vont payer les errements actuels dans la conduite de la politique économique. K. R.