La problématique des mutations d'un Etat rentier clientéliste vers un développement et une croissance intégrée est très complexe. Il est difficile de juger des nouveaux instruments juridiques de la politique d'accueil des investissements étrangers en Algérie. Elle paraît a priori peu favorable aux IDE. A y regarder de plus près, son objectif et sa téléologie sont en réalité de mettre en place un tissu de PME/PMI locales, capables d'ici 2020 de créer des emplois et des richesses suffisamment nombreux pour que notre pays se libère de l'emprise des hydrocarbures. C'est évidemment sous la pression de la mondialisation libérale que l'Algérie a été amenée à ouvrir ses frontières pour favoriser l'implantation d'investissements dans tous les secteurs porteurs de croissance. Compte tenu des retards accumulés depuis l'interruption du processus d'industrialisation (au début des années 1980) et du nombre croissant de jeunes qui se présentent chaque année sur le marché du travail (200.000 à 250.000), l'Algérie avait urgemment besoin de se développer. Il fallait également tenter de réduire les dimensions de l'économie informelle qui contribue pour 40% à la formation du PIB. Le bilan que l'on peut dresser de l'application de l'ordonnance du 20 août 2001 relative au développement de l'investissement, modifiée et complétée, n'est pas très encourageant, que ce soit par rapport au nombre d'emplois créés, au transfert de technologie réalisé ou aux capacités exportatrices des entreprises algériennes. On peut même affirmer que le bilan est globalement négatif, à condition d'exclure cependant les réalisations inscrites au Pcsc (2005-2009) dont l'évaluation, compte tenu des retards enregistrés dans le planning de mise en oeuvre des projets, ne pourra se faire au mieux qu'à l'horizon 2014-2015. Lorsqu'on examine attentivement les dispositions de l'ordonnance précitée ainsi que l'ensemble des textes pris pour son application, on se rend à l'évidence que les instruments juridiques privilégiés par le législateur sont les mêmes que ceux que consacrent des pays ayant atteint un niveau de maturité industrielle, technologique et culturel supérieur au nôtre. Autrement dit, l'application réaliste des textes relatifs à l'investissement supposait que fussent préalablement réunis un certain nombre de conditions qui ne l'étaient pas en 2001 et qui ne le sont toujours pas en 2009, à savoir l'existence d'une bureaucratie efficace, réactive et rationnelle, d'une corruption maîtrisée, d'entreprises locales déjà mises à niveau (notamment pour développer le partenariat), d'une main- d'oeuvre formée et disciplinée (et non d'une main-d'oeuvre à bon marché), d'un pouvoir d'achat général suffisamment élevé, de l'existence de districts industriels (préalable, s'il en est, à toute stratégie industrielle digne de ce nom). Dès lors que ces conditions n'étaient pas réunies, comment pouvait-on assigner aux investissements étrangers des objectifs aussi ambitieux que l'acquisition d'entreprises publiques aux fins de les moderniser et de les rentabiliser, la garantie d'un réel transfert de technologie, une contribution à la politique d'aménagement du territoire ou encore la création d'entreprises locales et mixtes productrices de biens et de services jusqu'ici fournies par l'extérieur? En revanche, entre 2001 et 2008, ce sont quelque 50 milliards de dollars qui ont été transférés à l'étranger au titre des bénéfices, royalties et autres dividendes. Le gouvernement a décidé, fin 2008, que l'Algérie ne serait plus un paradis fiscal (à raison des nombreuses exonérations et exemptions fiscales accordées par l'Andi comme à raison d'une réglementation des changes non restrictive). A ce rythme et eu égard à l'érosion graduelle des recettes pétrolières, c'est l'ensemble des réserves de change qui risquaient d'être siphonnées à l'horizon 2014 et notre pays de se retrouver contraint de procéder à de douloureux ajustements monétaires et financiers. Les décisions prises, il y a quelques mois, par le Premier ministre semblent s'inscrire dans le sillage du patriotisme économique, selon lequel il faut désormais associer les entreprises locales au développement de l'économie nationale et réduire, autant que faire se peut, le recours à la coopération internationale. Toute la question est de savoir si nos entreprises sont en mesure d'atteindre les objectifs fixés par le président de la République et le Premier ministre: création de trois millions d'emplois, construction d'un million de logements, mise en place d'une très ambitieuse politique touristique, etc. Ce sera un pari difficile à tenir, si grande que soit la détermination du Forum des chefs d' entreprise (FCE) à mobiliser l'ensemble des patrons des PME/PMI. Il faut ajouter qu'une législation d'apparence nationaliste n'est pas un objectif en soi. Une chose est de prendre acte que les investissements étrangers n'ont pas apporté en dix ans la valeur ajoutée qui eût été nécessaire pour améliorer les performances de l'appareil de production, autre chose est de laisser entendre que l'obligation d'une participation locale de 51% dans l'investissement et de 30% dans le commerce va substantiellement modifier la donne économique. L'ensemble du dispositif législatif est impuissant, à soi seul, à conjurer les retards accumulés par notre pays sur le plan industriel. Voilà maintenant 20 ans que nous assistons à l'extinction progressive de branches entières d'activités. L'Algérie n'a plus, pour ainsi dire, de tissu industriel et rares sont les privatisations qui ont donné les résultats escomptés. La question est désormais posée de savoir de quels avantages comparatifs dispose notre pays dans le domaine industriel. Quels biens d'équipement et quels biens de consommation peuvent produire nos entreprises qui seraient compétitifs dans le seul pourtour méditerranéen au regard de la qualité des produits tunisiens, marocains, égyptiens ou turcs? On peut se le demander. Les seuls avantages comparatifs sont cantonnés dans le secteur des hydrocarbures et notamment dans l'aval pétrolier où la nécessité de multiplier les investissements s'impose de plus en plus. La perte de substance de l'économie remonte au début des années 1980 lorsque les gouvernants de l'époque, à leur tête l'inénarrable A. Brahimi, avaient décidé purement et simplement de geler le processus d'industrialisation, alors qu'ils auraient pu, tout en dressant un bilan sans complaisance de l'expérience industrielle des années 1960, repenser un modèle de développement articulé sur les potentialités et les atouts nationaux. Le mode opératoire de l'après-pétrole (de plus en plus d'Algériens l'ignorent) avait même été décliné, à l'occasion du Congrès extraordinaire du FLN (juin 1980) dans les résolutions économiques. Celles-ci ont été enterrées sitôt adoptées. A supposer que l'Algérie mette en oeuvre une stratégie industrielle, il faudrait au minimum 15 à 20 ans pour que notre pays quitte la quatrième et dernière catégorie des pays d'accueil des investissements, c'est-à-dire les pays dont l'attractivité est fondée sur leur dotation en facteurs primaires: ressources du sol et du sous-sol, main-d'oeuvre à bon marché et non qualifiée. Ni l'Accord d'association avec l'UE ni a fortiori celui conclu avec les pays arabes ne feront de l'Algérie une plate-forme de correspondance vers des marchés régionaux dynamiques, à l'exemple de la Turquie (vers l'Europe) ou de l'Indonésie ou de la Malaisie (vers l'Extrême-Orient). Il n'est évidemment pas question de plaider pour la remise en cause de ces accords, comme ont pu le suggérer quelques esprits frivoles. A tout le moins, ne nous méprenons pas sur leurs vertus supposées et ne cultivons pas de nouvelles illusions. Par ailleurs, il semble exclu qu'à l'horizon 2015-2020 l'Algérie puisse élaborer avec succès soit une stratégie d'industrialisation par valorisation des exportations, soit une stratégie industrielle par substitution aux importations, encore moins est-il question de remettre au goût du jour une stratégie de développement des industries industrialisantes dont l'Algérie continue de symboliser la funeste infaisabilité. Il ne reste plus que la stratégie de développement endogène pour laquelle semble avoir opté le gouvernement. Encore faudrait-il que cette stratégie ne soit pas sous-tendue par une logique autarcique, car jamais cette logique n'a pu faire émerger un processus d'accumulation auto-entretenu dans quelque pays que ce soit. Et elle serait de surcroît condamnée par le processus de mondialisation actuellement en cours, dans lequel notre pays s'inscrit, même s'il n'est pas encore membre de l'OMC. Cette stratégie de développement endogène reposerait sur le développement prioritaire de l'agriculture et une industrialisation maîtrisée dont l'ambition serait de couvrir les besoins essentiels de la population. Elle s'accomplirait par l'utilisation de technologies appropriées. Le programme du Premier ministre présenté à l'APN le 19 mai dernier est emblématique de cette stratégie: mise en place d'un dispositif d'aide à l'insertion professionnelle, réhabilitation de dizaines de milliers d'hectares de terres cultivables, raccordement de milliers de foyers aux réseaux d'assainissement d'eau potable, alimentation d'un million de nouvelles habitations au gaz naturel, livraison de 10 centrales de dessalement de l'eau de mer, etc. On peut qualifier la stratégie de A. Bouteflika et de A. Ouyahia de stratégie endogène. Mais il ne faut pas se méprendre sur les classifications établies par les économistes. Aucune ne résulte d'un composé chimiquement pur. La problématique des mutations d'un Etat rentier clientéliste (délibérément voulu par les successeurs immédiats de H.Boumediene) vers un développement et une croissance intégrée est très complexe. Elle n'a même pas été élaborée. C'est la raison pour laquelle il ne serait pas honnête de disqualifier a priori le programme du président de la République. Au contraire, tout ce que l'Algérie compte d'experts, d'universitaires, de journalistes, de patrons d'entreprise et de syndicalistes, doit contribuer au succès de ce programme. Ceci dit, le gouvernement gagnerait à rester à l'écoute des éléments les plus dynamiques de la société civile et prendre en compte leurs suggestions et leurs recommandations, ce qu'il ne fait pas suffisamment. Le pouvoir algérien ne peut à lui seul transformer la société algérienne. Il ne peut davantage poser les linéaments d'un nouveau pacte social interne en privilégiant uniquement ses clientèles, proches ou périphériques. Il doit oeuvrer inlassablement à la satisfaction de l'intérêt général. Quoi qu'il en soit, le programme du gouvernement correspond aux attentes d'une écrasante majorité d'Algériens. Reste à l'appliquer. (*) Chercheur/Universitaire