Les harragas sont livrés dans l'Hexagone au risque de recrutement par des filières dangereuses. “Les Algériens continuent, par tous les moyens, de s'affranchir des restrictions imposées à la mobilité internationale. D'une part, la fuite des compétences est redevenue un problème majeur face aux forces attractives de politiques actives déployées par certaines économies des pays du Nord, mais aussi des pays arabes du Golfe. D'autre part, les actifs de faible qualification transgressent les interdits pour emprunter la voie la plus dangereuse en empruntant la mer, dans des embarcations de fortune, pour gagner les rives nord de la Méditerranée, connue sous le phénomène des harragas”. C'est ce que souligne M. Mohamed Saïb Musette, maître de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement, dans un intéressant article intitulé “Algérie : migration, travail et développement”. M. Mohamed Saïb Musette indique qu'“après le net ralentissement des flux migratoires algériens en France, nous assistons, ces dernières années, à une reprise à la hausse, toujours en comparaison avec les pays voisins. Cette reprise est aussi accompagnée par une tentative de diversification, même tardive, de flux vers d'autres pays”, relève M. Mohamed Saïb Musette. Le chercheur s'appuyant sur des données algériennes, indique que l'immense majorité réside en France avec un taux de 85% des émigrés, et 8% dans différents pays européens, avec une concentration en Espagne et en Italie. Selon les données françaises, la population migrante algérienne est en baisse selon les recensements : passant de 805 000 en 1982, puis à 614 000 en 1990, elle est estimée à 477 000. Mais une hausse serait intervenue depuis. En 1996, il y avait moins de 8 000 départs réguliers, le volume a presque triplé en 2005, pour atteindre près de 25 000 migrants admis en France. Cette population (âgée de plus de 15 ans) est estimée en 2007 à 495 447 personnes, selon l'enquête Emploi de l'INSEE, publiée en 2008, dont 34% dont des actifs occupés. Les migrants algériens au Maghreb ne représentent que 3%, suivis de ceux établis en Amérique, notamment au Canada et aux Etats-Unis, estimés à 2%. Puis viennent les pays du Machrek et de l'Afrique avec 1% pour chacune des régions. 100 et 150 mineurs algériens transitent chaque année à Marseille “Le rapport de la Cimade en 2007 place les Algériens en situation irrégulière en tête de liste en France : sur un ensemble de 34 000 personnes ayant transité par les centres de rétention en France, ils sont plus de 4 000 Algériens, soit 12%”, relève M. Musette, indiquant que les conflits politiques en Algérie, aggravés par des actes de violence et du terrorisme, a provoqué deux types de migration irrégulière. Le premier type, “sans doute le mieux organisé” note-t-il, est celui des militants islamistes qui étaient acheminés, par des passeurs durant les années 1990, vers l'Afghanistan, le Pakistan, parfois en transitant par certaines capitales européennes, Paris, Londres, Bruxelles, Rome, Francfort… “Aucune donnée statistique n'est disponible sur ces mouvements irréguliers des migrants algériens, sinon, quelques fragments de données de demande d'asile politique par exemple en Angleterre, qui se chiffre à quelque 10 000 personnes sur toute la décennie 1990”, précise le chercheur. Le second type, “moins organisé mais aussi efficace”, ajoute-t-il, est celui des Algériens dont “la vie sinon la quiétude étaient menacées et qui bénéficiaient du soutien des réseaux” en Algérie et à l'étranger pour sortir du territoire, parfois avec des “visas de touriste”, pour ensuite s'inscrire en qualité de “réfugiés” dans les pays voisins (Maroc et Tunisie) ou dans certains pays européens, notamment la France et même aux Etats-Unis et au Canada. “Là aussi, il est assez difficile d'avoir des données chiffrées sur le nombre de départs tant les estimations sont parfois alarmistes et peu fiables”, précise M. Musette, indiquant que “quelques indications sont données par exemple par un réseau sur quelques centaines d'intellectuels accueillis en France”. De même, au Canada, ils seraient environ 3 000 dont leurs demandes d'asile politiques étaient en instance encore récemment. Selon les statistiques internationales du HCR, le stock de réfugiés (ou supposés l'être) algériens à l'étranger est estimé à 11 028 personnes en 2006 et le nombre a connu une légère hausse depuis : il est estimé à 11 972 en juin 2008, toujours selon les statistiques du HCR. “Pourtant, ils sont nombreux les Algériens, qui durant les années 1990, ont dû quitter l'Algérie, soit parce qu'ils étaient recherchés par les autorités, soit parce qu'ils craignaient pour leur vie sous la menace de terroristes”, s'étonne le chercheur. Evoquant le phénomène des harragas, M. Musette affirme que depuis que le Maroc et la Tunisie ont durci la législation dans la lutte contre la migration, les harragas algériens s'organisent pour tenter la traversée avec l'aide de passeurs algériens à partir des côtes algériennes, notamment dans les wilayas de l'Ouest pour gagner Almeria en Espagne et à partir des wilayas de l'Est pour regagner les côtes de la Sardaigne en Italie. “Aucune donnée fiable n'est disponible sur ce phénomène qui est même devenu un sujet d'actualité politique”, affirme encore le chercheur. M. Musette relève un autre phénomène inquiétant. Selon une ONG, il y aurait entre 100 et 150 mineurs algériens qui transitent chaque année à Marseille. Ces mineurs reçoivent une assistance de l'ONG, mais ils vivent souvent dans la rue et sont intégrés, d'une manière ou d'une autre, dans des filières aux activités douteuses. “La mondialisation a ouvert un marché de travail sans frontières qui puise les compétences, les talents globaux, dans une course effrénée à suppléer les besoins des économies du Nord en voie de sous-peuplement”, avertit M. Musette. Le défi algérien est ainsi double : trouver la parade nécessaire pour retenir ses compétences et attirer les talents globaux installés à l'étranger et puis, trouver les moyens de création d'emplois décents pour les moins qualifiés afin de freiner la migration irrégulière. Le nombre de migrants en situation irrégulière, en Algérie, serait de 26 000 personnes La part des migrants en Algérie est estimée à 95 000, soit 0,3% de la population résidante en 2008. Mais l'effectif réel est plus important que les données du recensement. “Nous l'estimons à 325 000 migrants (soit 0,9% de la population algérienne), en intégrant les travailleurs étrangers recensés par l'Anem, les réfugiés relevés par le MAE et le HCR, les migrants en situation irrégulière et en excluant les binationaux, bien qu'ils soient estimés, par les statistiques consulaires françaises en Algérie, comme étant des Français résidant à l'étranger”, soutient M. Musette. Les migrants en situation irrégulière seraient de 26 000 personnes. Il n'existe pas d'estimation officielle de migrants étrangers en situation irrégulière. C'est un phénomène naissant mais qui semble prendre de l'ampleur, du moins selon les statistiques des “arrestations” par les services sécuritaires (police et gendarmerie). Ces arrestations sont devenues de plus en plus fréquentes, avec une moyenne annuelle de 6 500 depuis les années 2000. Le nombre de travailleurs étrangers admis de manière régulière en Algérie a connu une croissance exceptionnelle ces dernières années : ils étaient, selon les données de l'Anem, moins de 1 000 travailleurs en 1999, le nombre a progressé pour atteindre 32 000 travailleurs en 2006. Une distribution de cette population selon la nationalité indique une très forte présence des Chinois, avec un peu plus de 40% en 2006, viennent ensuite les ressortissants de l'Egypte et de la Turquie, des Britanniques, des Italiens et des Français. Concernant les réfugiés, selon les données du MAE, communiquées au BIT en 2003, c'est environ 250 000 personnes qui ont obtenu un statut de réfugié en Algérie, composées de plus de 60% des Sahraouis et concentrées dans les centres au Sud de l'Algérie, dans la wilaya de Tindouf. “Le décompte de cette population ne fait pas l'unanimité. Beaucoup d'enfants sont nés et grandissent dans ces camps”, souligne le chercheur. Vers une décélération des migrations internes “À l'indépendance de l'Algérie, la population algérienne était dans sa quasi-totalité des ruraux, une infime minorité habitait dans les villes, peuplées par les Français et autres étrangers”, rappelle M. Musette. Une exode massif s'est produit durant les premières années de l'Indépendance des paysans vers les villes, abandonnées par les populations françaises et étrangères. “Ainsi, on recense une population urbaine de 31% en 1966, puis à 40% en 1977 et de 48 en 1987 pour atteindre 58% en 1998. Ce taux a dépassé présentement les 60%”, souligne-t-il. La mobilité a été marquée par un exode rural de grande ampleur des Hauts-Plateaux et des montagnes telliennes vers les métropoles et les plaines du Nord. Celui-ci s'est accéléré entre 1987 et 1998 et a concerné 2,5 millions de personnes. “Il a connu une relative stabilisation à partir de cette date”, soutient M. Musette. Toujours selon le Snat (2007), 877 communes rurales sur 979 ont enregistré un solde migratoire positif entre 1998 et 2005, seules 102 communes contre 366 (en 1998) enregistrent un solde migratoire négatif continu depuis 1987. “L'analyse des migrations internes montre que les grandes métropoles (Alger et Oran) continuent d'attirer les migrants à un rythme, cependant plus faible qu'antérieurement”, indique le chercheur, qui constate toutefois un phénomène émergent de retour vers certains territoires du Sud et des Hauts-Plateaux : les wilayas attractives se situent particulièrement dans le Grand-Sud, la région sud-ouest, dans le Nord-Centre (1re couronne) et les Hauts-Plateaux-Centre, et les wilayas répulsives sont localisées dans le Nord-Est, le Nord-Ouest, le Nord-Centre (2e couronne), les Hauts-Plateaux-Est. Meziane Rabhi