Observateur attentif des questions algériennes, collaborateur de plusieurs publications en France, Paul-Marie de la Gorce tente d'analyser le phénomène terroriste sous un angle particulièrement local. Liberté : La politique de concorde civile, prônée par le président Bouteflika, ne contraste-t-elle pas avec la volonté affichée par l'Etat algérien de prendre part à la guerre internationale contre le terrorisme ? • Paul-Marie de la Gorce : L'Algérie a une antériorité extraordinaire dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Elle a fait preuve d'un courage formidable pour faire échec à l'islamisme armé. Cela ne sera jamais effacé ni oublié. Le président de la République a cru que le point atteint par le succès de cette lutte rendait possible de faire rentrer dans la vie sociale normale certaines catégories qui s'étaient laissées entraînées dans le soutien aux activités terroristes. Je ne sais pas s'il a tort ou raison, les Algeriens étant eux-mêmes partagés à ce sujet : certains l'y ont encouragé, d'autres pensent qu'il y a eu dérapage ou même reconstitution clandestine de groupes armés. Le plus important, en fait, est de compléter la victoire remportée sur le terrain contre l'islamisme armé. Jamais la lutte contre le terrorisme n'est de nature seulement policière, sécuritaire ou militaire. Elle doit être aussi politique au sens le plus élevé du terme, c'est-à-dire se traduire par des réformes de société décisives et profondes qui enlèvent toute justification à même de priver le terrorisme de tout appui, de toute complicité. C'est cela qui reste à faire et, de loin, l'essentiel. Cette politique — de concorde — a donc, selon vous, aidé à endiguer le phénomène terroriste ? • Je pense qu'elle a pu être un élément favorable comme l'a été la loi de la rahma (adoptée du temps du président Liamine Zeroual, à partir de 1996). L'esprit est identique : ramener des catégories qui, au fond, avaient cédé à la tentation sans avoir pour autant commis des crimes de sang. Les massacres se poursuivent, à l'ouest du pays notamment. Ce colloque n'est-il pas en définitive une “thérapie théorique” de plus qui s'éloigne et éloigne les solutions concrètes qu'un peuple peut attendre de ses gouvernants ? • Il est parfaitement clair que l'essentiel est la lutte concrète contre le terrorisme. L'Algérie a donné, à cet égard, un exemple extraordinaire depuis dix ans. C'est toute la nation algérienne qui a mené ce combat, la détermination et la valeur de ses éléments n'auraient jamais suffi à l'armée pour le faire sans cette mobilisation citoyenne. Un mérite donc historique. La priorité est de poursuivre le combat ensemble. Cela dit, je ne vois pas de contradiction entre cette priorité et la réflexion engagée à cet égard. En ce sens que pour combattre un adversaire, il faut le connaître et comprendre les raisons de son surgissement. De quelle manière, en tant qu'observateur, commentez-vous la naissance d'un tel phénomène en Algérie et, surtout, sa — relative — longévité ? • Le phénomène terroriste est d'origine complexe. En vérité, sa matrice, son origine, son terreau est la mouvance islamiste. Celle-ci a pu se développer et grandir à mesure des impasses, des échecs des expériences post-indépendance. Ce cas ne s'applique pas uniquement à l'Algérie. Et c'est la version fanatique de l'islamisme qui a engendré le terrorisme. Evidemment, en Algérie, des circonstances particulières ont favorisé son apogée, comme la grave situation sociale et l'absence de vie démocratique et des libertés publiques. Il faut par ailleurs reconnaître que les forces modernistes et démocratiques n'ont jamais pu s'unir ou proposer des projets concrets et crédibles à un moment où le pays en avait besoin. Les pays victimes du terrorisme, du Sud notamment, reprochent à l'Occident son approche hypocrite vis-à-vis du terrorisme. Sans doute n'aurait-on jamais évoqué de “guerre totale” s'il n'y avait pas eu les attaques contre New York et Washington en septembre 2001 ? • Il est tout à fait sûr que le 11 septembre a servi de déclencheur à une stratégie de grande envergure destinée non seulement à réduire le terrorisme et les Etats qui le tolèrent ou l'abritent, mais à en finir avec les Etats qui sont en train de se doter d'armes de destruction massive sous prétexte que celles-ci sont livrées aux groupes terroristes. Il s'agit bien évidemment d'une supposition dénuée de fondement. Elle traduit néanmoins la volonté des Etats-Unis de profiter de la brèche ouverte par le 11 septembre pour asseoir leur emprise sur les régions du monde et les Etats-clés échappant à leur contrôle. H. M. / L. B.