Pour “la bonne cause”, le chef de l'Etat a abandonné son concept de “première violence”. De deux choses l'une : soit le Président fait l'amnésique, soit il joue la duplicité. Jeudi, à l'occasion de la cérémonie de remise des grades et médailles à des généraux-majors, généraux et colonels, M. Abdelaziz Bouteflika a encore étalé des contradictions par rapport à ses déclarations passées, concernant ses relations tumultueuses avec les “amis” militaires et dans ses positions sur le processus électoral et le terrorisme. Dans son discours, prononcé au ministère de la Défense, devant les hauts dirigeants de l'institution, il a sorti un vocabulaire dithyrambique dont le contraste avec les impitoyables attaques du passé n'a d'égal que l'éloquence. Le chef de l'Etat a élevé ses rivaux au rang de sauveurs de la République et de la nation. Il les a béatifiés pour leur “courage, énergie et détermination” dans le combat contre les “forces obscurantistes et de destruction qui ont tenté de s'imposer à la société, en piétinant nos valeurs les plus sacrées et portant atteinte à la dignité et à la conscience des hommes et des femmes de ce pays”. Il plaide même la cause de l'armée au moment où celle-ci l'accuse de manœuvres tendant à détruire son image au sein des puissances occidentales et à projeter ses hommes dans le précipice de la controverse. Revendiquant la présomption d'innocence, Bouteflika prend les devants, revient sur ses pas, se rétracte et s'offusque. Résonnant, il affirme : “Mais, vous avez dû aussi, plus péniblement, affronter (…) les formes les plus sournoises de ce combat par lesquelles on a tenté, en vain, de ternir l'image et l'honneur de notre institution militaire. (…) Alors que vous combattiez cette barbarie au nom d'un Etat de droit (…), votre combat héroïque a donné lieu à des attaques inqualifiables contre l'Armée nationale populaire et les services de sécurité, attaques insidieuses, ignorant délibérément les crimes odieux que vous combattiez au nom de la liberté et de la dignité du peuple algérien. Ces accusations infamantes et l'exploitation politique qui en a été faite voulaient se donner pour fondement la défense des droits de l'Homme.” Haletant. Voire, déconcertant. Plus déconcertant est encore le président de la République lorsqu'il parle de terrorisme et de démocratie. Alors qu'il a publiquement culpabilisé l'armée de la “première violence”, relativement à l'interruption, le 11 janvier 1992, du processus électoral qui auraient mené les intégristes au Parlement, il la salue aujourd'hui d'avoir “su préserver l'unité du peuple et le caractère républicain de nos institutions”, ainsi que la “sécurité et l'intégrité du territoire”. Récemment, à Strasbourg, comme à son arrivée à El-Mouradia, en avril 1999, il a dit n'être comptable que de son mandat ; au siège du ministère de la Défense, il a implicitement reconnu le mérite des militaires, à travers leurs éléments ou par le biais des responsables politiques qu'ils ont placés, dans la victoire contre le terrorisme et l'intégrisme. “L'ANP a sauvegardé le processus démocratique en cours. (…) Elle a sauvé la patrie et la République, et contribué à réunir les conditions objectives favorables à l'accomplissement du processus engagé pour conduire démocratiquement le pays vers un Etat de droit, républicain, moderne et au service exclusif des citoyens”, a-t-il souligné. Bouteflika s'est même plu à dire, citant “quelqu'un” : “L'armée garde la nation jusqu'au moment où elle la sauve.” Le dédouanement est extraordinaire, le revirement incroyable. Cela signifie en effet que l'institution militaire a légitimement arrêté l'opération électorale et salutairement mis fin aux activités du FIS. D'ailleurs, de FIS en terrorisme, la jonction est vite faite. Et qui mieux, aujourd'hui, que Abdelaziz Bouteflika sait verser dans l'éradication après avoir tenté une grâce amnistiante : “Le terrorisme, directement responsable de la crise qui a secoué le pays tout entier, doit être éradiqué.” Les militaires ont pris note. Les Algériens aussi. L. B.