Une fois n'est pas coutume, le chef de l'Etat s'est contenté d'écouter. Et de sourire. Sur les grands dossiers ? Motus ! La journée a commencé par un beau soleil sur Constantine. Elle s'est achevée par une pluie humide, comme pour enterrer les désillusions d'une journée de visite présidentielle. L'euphorie de la matinée a cédé la place au triste vécu quotidien d'une population depuis longtemps délaissée. Constantine a, cette fois, eu le temps de revisiter l'histoire, à travers son village numide que M. Abdelaziz Bouteflika a inspecté. Un site où son ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, s'est recueilli sur le tombeau d'un grand guerrier numide qui doit lui rappeler de bien mauvais souvenirs. Un tombeau sans épitaphe, mais tellement simple et glorieux que le temps a su le préserver à la belle mémoire de Massinissa. Cirta s'est, bien sûr, dotée de ses beaux atours pour accueillir, pour la sixième fois en quatre ans, le président de la République. Au menu de cette visite, des bains de foule, des inaugurations, mais point de déclaration. Entre onze heures (son arrivée) et seize heures (son départ), il a abondamment souri et serré beaucoup de mains anonymes. Habituée aux vieux rituels, Cirta n'a pas dérogé à la règle. Elle ne pouvait pas, ou peut-être ne voulait-elle pas. Mais en tout cas, elle a perpétué la tradition. La tradition des faux défilés, des foules déplacées, des slogans emphatiques, des personnels “bénévoles”, des cités bloquées, des réfections forcées. Cirta, comme l'Algérie, a réussi à faire le faux bond de mémoire. Sclérosées, l'une et l'autre avancent à pas cadencés non plus vers le progrès, mais vers l'inconnu des larges travers de la mondialisation. Cette tradition donc, M. Bouteflika ne l'a pas initiée. Il l'a juste voulue et entretenue, à ses fins comme jadis à celles de ses prédécesseurs. Le régime qui l'a enfanté et qu'il représente aujourd'hui, loin de la visite du guerrier numide, a institué pour le pays des habitudes que la nature a fini par associer. Alors, non, Constantine n'a fait qu'emboîter le pas. Elle a travaillé dur les jours passés ; jusqu'à la veille de la sixième visite, les machines à bitume ont vrombi, les rouleaux de peinture ont façonné. Les routes et les bâtiments — du passage présidentiel — ont brillé sous l'effet des couches épaisses exigées par l'urgence de la circonstance. L'administration locale a parfaitement joué le jeu ; à son retour vers la capitale, le chef de l'Etat a toutes les raisons de se sentir dans la peau d'un Président réélu. Constantine, grâce à des comités de soutien à la candidature prochaine, lui a fait un triomphe. D'abord, à l'aide de banderoles. Cernée, la ville a chanté l'air de la modernité et vanté l'ère de la concorde. Elle a salué le “symbole de la démocratie” dont le “long labeur de quatre années a permis de consacrer la réconciliation nationale et réaliser les réformes économiques”. Nostalgiquement ou naïvement, elle a fêté l'homme “à la vision stratégique ; l'homme qui fait du dialogue démocratique une vertu de gouvernance”. Il ne pouvait que s'irradier, le Président. Tôt dans la matinée d'hier, la Place des martyrs, cœur de Cirta, supportait la charge de ses citoyens joyeux, venus applaudir et crier à la gloire de leur premier responsable, ce roi mage appelé à la rescousse par ces décideurs et qui, guidé par les étoiles, a annoncé la résurrection de son peuple, de son pays. Depuis quatre ans, son vieux bâton de pèlerin a sillonné villes et villages avant de revenir, en escale, à Constantine. La Place des martyrs bondait de monde. La nuit précédente, des bus, pleins comme des œufs, entraient dans la ville, des bambins la tête bien “lavée” chantaient en chœur. Pour une journée de plaisir, cela valait le déplacement. Déplacées aussi ces troupes folkloriques chargées d'amuser la galerie. Cependant, la spontanéité a eu son mot à dire. Dans son bain de foule matinal, alors que les barrières contenant la foule chauffaient sous le soleil brûlant de juillet, M. Abdelaziz Bouteflika tanguait, allant de gauche à droite, saluant et tendant la main. Sur les balcons, des youyous chargeaient encore l'atmosphère de gaieté, rompant temporairement avec la morosité des jours monotones du chaudron constantinois. La morosité, Ahmed Benmerzougui Ahmed connaît bien. Ancien champion de cyclisme, il a récemment saisi le wali pour trouver une solution à son problème de logement. “Ils peuvent tous venir ici, ce qui m'intéresse c'est ma situation”, lâche-t-il. Les villes nouvelles — Massinissa et Ali-Medjeli — que le chef de l'Etat a inaugurées ne peuvent occulter la face cachée de cette ville-étouffoir. Une cité en proie à de perpétuels affaissements et glissements de terrain ; une cité malade de ses bidonvilles et de leurs 38 000 résidents. Une cité “restée vieille, aux sens propre et figuré, malgré les changements de responsables. Regarde donc, quelle pitoyable situation !”, observe, las, ce chauffeur de taxi. “Non, ici, ils n'ont rien fait”, résume, sec, ce jeune informaticien. Le sentiment général est à la lassitude. L'euphorie finit toujours par retomber. D'ailleurs, après la pluie qui a accompagné le chef de l'Etat vers l'aéroport Mohamed-Boudiaf, des inondations ont rendu la circulation difficile dans certains quartiers. Evidement, cette visite de M. Bouteflika a fait des heureux, notamment parmi les bénéficiaires du plan de relogement dans les cités des deux villes nouvelles. Des heureux également — c'est sans doute la belle image du jour — parmi les sportifs de l'Association sportive d'El-Khroub, trois champions du monde de handisport. La jeune femme et les deux garçons ont été primés et récompensés chacun d'un logement et d'une enveloppe de dix mille dinars. L'autre belle image reste celle de cette dame, historienne, qui, sortant du cadre matériel, a replacé le débat dans l'ordre moral de l'histoire. Avant de visiter le tombeau de Massinissa, elle a expliqué au chef de l'Etat comment l'irresponsabilité a conduit à l'oubli des gloires du passé. “Aidez-nous à sauvegarder notre mémoire. Les Français et les Italiens croient pouvoir revendiquer la paternité de certains de nos guerriers, mais les Algériens ne se sentent curieusement pas concernés. Aidez-nous à enseigner la vraie histoire à nos enfants, à commencer par la réforme des manuels scolaires”, disait la dame. La réforme de l'école ? On y est de plain-pied. Courage ! L. B. Querelle de clans Comme c'est souvent le cas, le passage de Bouteflika à Constantine n'est pas allé sans son lot de zizanie. Dans la Cité antique, les comités de soutien au président de la République sont scindés en deux clans. Le premier est emmené par le sénateur Boudjemaâ Haïchour et le second par El-Attafi, directeur de collège et président d'une association. Lors d'une réception offerte à l'APC de Constantine, seuls des membres du premier clan ont été admis. Ce qui n'a pas été du goût de leurs rivaux qui n'ont pas manqué de le faire savoir bruyamment sous les yeux des services du protocole présidentiel. Ils ont été jusqu'à menacer de rappeler le petit peuple mobilisé pour saluer la venue du Président. Zerhouni, de Massinissa à Massinissa Le ministre de l'Intérieur s'est recueilli sur le tombeau de Massinissa. Il a profité d'un moment de répit où le président de la République écoutait les explications sur le site du village numide, à El-Khroub, pour s'éclipser et se précipiter devant le tombeau tout en pierres. Quelques minutes plus tard, il s'expliquait lui-même sur le sort d'un mouvement déclenché après la mort d'un autre Massinissa, celui qu'il a pris, au début, pour un délinquant. Zerhouni a, par ailleurs, estimé que les attaques contre les sièges du FLN relevaient strictement d'une affaire interne. Et que la loi électorale allait demeurer en l'état. Et que les codes de commune et de wilaya pourraient être soumis au Parlement dès l'automne. L. B. Cinq milliards pour Constantine Le chef de l'Etat a accordé une enveloppe financière de 5,5 milliards de dinars à la wilaya de Constantine pour la réalisation de ses projets d'aménagement de construction. L. B.